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Naissance et mort d’un idéal
Alain Mérot   Du paysage en peinture dans l'Occident moderne
Gallimard - Bibliothèque illustrée des histoires 2009 /  39 € - 255.45 ffr. / 443 pages
ISBN : 978-2-07-078108-9
FORMAT : 17,5cm x 23cm

L'auteur du compte rendu : Mathieu Dubosc, diplômé de l’IEP de Paris et ancien élève de l’École du Louvre, est actuellement professeur dans les Hauts-de-Seine.
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Il est aujourd’hui en histoire de l’art deux tendances majeures qui s’opposent largement. On trouve d’un côté les études factuelles, empiriques, qui tendent parfois à se transformer en catalogue d’artistes ou d’œuvres, et d’un autre côté des études plus théoriques qui puisent leur matière dans les traités artistiques ou littéraires. Chacune de ces approches a ses vertus mais on saura gré à Alain Mérot d’avoir marié, en une analyse féconde, étude des images et étude des textes. Cette démarche tâtonnante et ambitieuse, parfois au détriment de la clarté immédiate du propos, est ici mise au service d’une noble ambition, exposer la place du paysage artistique dans le système des arts de l’époque moderne.

Alain Mérot ne nous convie pas à un voyage à travers les principales écoles picturales européennes, mais bien à considérer les voies empruntées par le paysage «classique» pour s’élever dans une hiérarchie des genres picturaux dominée alors par la peinture d’histoire. Pour passer du statut de simple divertissement ou d’ornement mineur à celui de genre pictural autonome, le paysage a cherché souvent dans la littérature et la poésie classiques un langage spécifique.

Pour cela, il a puisé d’abord dans les modèles littéraires descriptifs comme l’ekphrasis, exercice rhétorique codifié dès l’antiquité. En sélectionnant et en ordonnant une multitude de détails, ce genre littéraire autorise une manière picturale vive et exhaustive, qui cherche à rendre la diversité du monde sensible. Devant la fresque du Bon Gouvernement (1338-1340), réalisée par Ambrogio Lorenzetti au Palazzo Publico de Sienne, le regard du spectateur se laisse ainsi constamment attirer par de multiples petites scènes qui s’inscrivent dans ce panorama à portée politique. Cette approche, sensible également dans les peintures panoramiques du Nord au XVIe siècle, rencontre pourtant une double opposition. En mai 1544, dans une lettre à son ami Titien, l’Arétin se fait l’écho d’une nouvelle sensibilité du regard à Venise ; il l’invite à abandonner la précision documentaire de peintres comme Carpaccio, pour créer un paysage plus sensible et plus libre. De son côté, dès le XVe siècle, dans le De Pictura (1435), Alberti appelle de ses vœux une peinture moins énumérative, mettant l’accent sur une construction scénique rigoureuse.

Le modèle théâtral classique contribue donc à son tour à modifier le statut de la peinture de paysage. Reprenant à son compte les trois unités d’Aristote (en particulier de lieu et de temps), le genre paysager se précise peu à peu en Italie puis en France. Les peintres trouvent alors souvent leur inspiration dans le drame satyrique joué sur fond de paysages agrestes, avec ses ombrages et ses sources fraîches conformes à la définition du lieu riant, le locus amaenus cher aux auteurs latins. Le tableau s’ouvre alors sur un paysage qui s’étend devant un spectateur unique comme chez Poussin ou Claude Lorrain. Souvent des chemins mènent vers l’horizon, rendant ce monde parcourable et donc tangible. La peinture de paysage, genre plus descriptif ou contemplatif que narratif recherche ainsi la permanence si conforme à la gravité des Bolonais comme Annibal Carrache ou à la sensibilité «arcadienne» d’un Poussin.

En accédant à une dignité nouvelle, le paysage abandonne donc la simple anecdote décorative de l’ekphrasis pour devenir le lieu de l’invention poétique. Il puise dans les genres de la tradition païenne et humaniste (églogue ou épopée) ou de la tradition moderne et chrétienne. Entre lieu de retraite et lieu de perdition, le paysage classique suppose une culture largement partagée, avec laquelle le peintre peut jouer en multipliant références savantes et possibilités d’interprétations.

Mais cet idéal «classique», apparemment triomphant au XVIIe siècle, est aussi contesté. A travers l’exemple du paysage, Alain Mérot fait dans sa dernière partie une véritable archéologie de la crise de la représentation idéale, habituellement datée de la fin du XVIIIe siècle avec l’émergence du romantisme. Selon lui, ce genre ne peut pleinement se laisser enfermer dans un système clos, formé par les règles rhétoriques des genres descriptifs, dramatiques ou poétiques. Il rappelle, par exemple, que Léonard de Vinci utilise le paysage pour explorer les mystères de la nature. D’autres cherchent à exprimer l'ineffable. C’est le cas dans le paysage symbolique du Nord au XVe et XVIe siècles, dans la peinture allusive d’un Giorgione ou dans le paysage «sublime» du XVIIIe siècle. Ce dernier fait appel à ce sentiment ambigu, où se mêlent horreur et plaisir ; on s’éloigne d’une représentation de la belle nature pour s’attacher aux orages et aux tempêtes qui renvoient aux angoisses intimes du peintre comme du spectateur. En menaçant la construction scénique du paysage classique, mesurable et cohérent, s’instaure alors un nouveau rapport entre créateur et spectateur. Le paysage qui, au XVIIIe siècle, hésite entre observation et imagination, vérité et poésie pure, impose peu à peu la vision personnelle du peintre et brise le consensus social autour de l’idéal commun du «paysage classique».

Déjà auteur de La Peinture française au XVIIe siècle, ouvrage inégalé depuis sa parution en 1994 et malheureusement épuisé, Alain Mérot nous propose donc de dégager la singularité du paysage «classique» dans ce livre richement illustré. Sans être une histoire du paysage à l’époque moderne, cet essai cherche ainsi avec brio à en définir les caractères principaux et à éclairer ce genre pictural à la lumière des conceptions culturelles d’une époque. Dernier volume de la prestigieuse collection de la «Bibliothèque illustrée des histoires» publiée par les éditions Gallimard, cet essai dense et habile, ne peut se contenter d’une lecture désinvolte.


Mathieu Dubosc
( Mis en ligne le 07/07/2009 )
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