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Une histoire sociale du métier de peintre
Antoine Schnapper   Le Métier de peintre au Grand Siècle
Gallimard - Bibliothèque des histoires 2004 /  21.50 € - 140.83 ffr. / 397 pages
ISBN : 2-07-077043-5
FORMAT : 14x23 cm

L’auteur du compte rendu : Nicolas Schapira est maître de conférences à l’Université de Marne la Vallée.
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Même avec un tel titre, le dernier ouvrage d’Antoine Schnapper aurait pu se borner à n’évoquer que le travail du petit nombre de peintres français du XVIIe siècle, qui ont accédé, de nos jours, à la notoriété, de Poussin aux frères Le Nain, en passant par La Tour, Vouet, Mignard ou Le Brun. Mais l’objectif du livre est autrement ambitieux, qui vise à faire émerger, par delà ces grands noms, la réalité sociale qu’ont représentée les quelques milliers de peintres qui ont vécu et travaillé au Grand Siècle.

Pour cela, l’auteur s’attache d’abord à établir le sens de la création, en 1648, de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Elle est présentée par ses fondateurs comme un moyen pour les artistes dans l’orbite de la Cour d’échapper au carcan de la corporation des peintres, qui détenait, en théorie, le monopole de l’exercice de la peinture dans chaque ville du royaume. L’auteur nuance fortement cette vision : s’il met en évidence la vigueur conservée des corporations de peintres - cadre naturel d’une activité qui reste à bien des égards un artisanat -, il montre aussi que les règles rigides des corporations étaient tournées de multiples manières. L’enquête révèle ainsi le chevauchement des statuts : la corporation pestait par exemple officiellement contre les détenteurs d’un brevet de «peintre du roi», qui permettait d’exercer ce métier sans se faire recevoir en son sein. Mais bien des maîtres – c'est-à-dire des membres de cette corporation – se prétendaient aussi «peintres du roi», et à l’inverse, les fondateurs de l’Académie étaient loin d’avoir coupé les ponts avec la corporation : chaque peintre jouait donc au mieux avec des statuts et des titres qui avaient chacun leur utilité spécifique - pour obtenir commandes, protection, honneur.

De ce fait, la création de l’Académie sonne plutôt comme une opération réalisée par une aristocratie de peintres pour se distinguer du commun de leurs confrères et monopoliser les commandes royales, mais il s’agit bien là d’un événement fondateur, en ce qu’il a accéléré le détachement de la peinture par rapport à l’artisanat et son accession au rang d’art libéral.

Chemin faisant, en tentant de démêler l’écheveau des statuts et des titres, Antoine Schnapper fait émerger de multiples manières d’être peintre : à la figure familière du maître dans son atelier, entouré de ses apprentis, il ajoute par exemple celle des «chambrelans», compagnons qui travaillent dans leur chambre à la réalisation d’ouvrages directement commandés par des bourgeois. Apparaissent aussi, à la lumière de rares contrats retrouvés, diverses formes d’associations, telle celle qui rassemble, pour la décoration d’appartements aristocratiques, un peintre à figures et un autre spécialisé dans la «grosse peinture», l’ornement ou la dorure.

La deuxième partie du livre est consacrée à la condition économique des peintres, une étude fondée sur les sources classiques de l’histoire sociale de l’Ancien Régime, et notamment des inventaires après décès. Par delà la diversité attendue des conditions, il faut retenir, avec l’auteur, l’amélioration du niveau de vie des peintres au cours du XVIIe siècle, qui tient au changement de regard sur la peinture, dont auraient profité jusqu’aux peintres de carrosses, et qui entraîne une demande accrue, sous la forme des commandes royales mais surtout d’un élargissement du marché de l’art.

Le pivot de cette démonstration est le chapitre consacré au prix des tableaux, une matière a priori aride, mais qui apparaît ici passionnante parce que s’y révèlent de nombreuses pratiques insaisissables autrement. Le partage fondamental est ici entre peintures à la commande (du bourgeois qui se fait tirer le portrait au Grand qui passe contrat pour décorer son hôtel, en passant par la fabrique qui commande un tableau d’autel) et marché de l’offre (où le peintre tente de placer des œuvres déjà réalisées), le prix des peintures dans le premier cas étant bien plus élevé que dans le second. Mais le prix varie aussi en fonction des genres (le tableau d’histoire, situé au sommet de la hiérarchie des genres, valait cher), du commanditaire (le roi payait plus que les particuliers) et, fait au premier abord surprenant, en matière de portraits, plus la dignité du sujet était grande, plus le prix était élevé, quel que soit le commanditaire : c’est ainsi que les portraits du roi (pas toujours commandés par le roi) étaient de bonnes affaires pour les peintres…

A la recherche du métier de peintre, ce livre nous fait rencontrer le peuple des peintres en une conjoncture où il s’est multiplié – de quelques centaines à Paris au début du siècle jusqu’à quelques milliers à la fin du règne de Louis XIV – et le foisonnement de multiples pratiques qui font toucher du doigt la diversité des manières d’exercer ce métier. On regrettera seulement que cette histoire sociale du monde des peintres, réalisée pourtant par un historien de l’art, ne rejoigne que rarement l’histoire de la peinture, et ne recherche pas même vraiment de terrain commun avec celle-ci. Mais pour de futures études qui chercheraient à faire de la peinture au XVIIe siècle un lieu d’investigation pour une histoire sociale de la culture, l’ouvrage d’Antoine Schnapper sera désormais la référence obligée.


Nicolas Schapira
( Mis en ligne le 05/02/2005 )
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