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Le Maestro au pied du lit
Federico Fellini   Le Livre de mes rêves
Flammarion 2007 /  89 € - 582.95 ffr. / 583 pages
ISBN : 978-2-08-120538-3
FORMAT : 24 x 33 cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Federico Fellini (1920-1993) est non seulement l'un des plus grands cinéastes mais l'un des plus grands créateurs qui soient. Réalisateur de films mythiques comme La Dolce Vita (1960) ou 8 1/2 (1963), il est l'un des rares réalisateurs à avoir suscité une expression dépassant sa personne : «Fellinien».

La question la plus importante est celle-ci : pourquoi Federico Fellini est-il un cinéaste aussi important ? Cela tient sans doute à son humour, à son inventivité, à son imaginaire débordant, à sa trivialité, à son élégance, à sa poésie (tout cela est vrai) mais aussi, et de cela on parle peu, à sa vision non-romantique, désillusionnée et désenchantée du monde. Une vision non-moderniste, non-lyrique, résolument critique certes mais surtout joyeusement et trivialement critique ! Que l'on se souvienne de l'un de ses chefs-d'œuvre, Casanova, le célèbre libertin que le cinéaste détestait pour n'être qu'un pantin mécanique forniquant à tout va : il ira le faire copuler avec une automate, son double mécanique ! Sévère mais profond quand on y songe. Que l'on se souvienne encore de La Cité des femmes (1981) où le maestro se moquait abondamment du féminisme dans ses excès (un monde sans homme ?!). Federico Fellini est bien loin d'une imagerie lisse et généreuse. Universel et atemporel, il nous parle encore. On rit et on grimace. Il n'aimait pas les clowns par hasard...

Federico Fellini n'était pas seulement un metteur en scène exceptionnel. Il savait remarquablement bien dessiner. Il croquait un personnage d'un trait expressif et humoristique. Le Livre de mes rêves est ainsi un livre somptueux que l'on n'espérait plus : les comptes rendus et les croquis des rêves du maestro. Ce dernier, entre les années 1960 et 1990, a transcrit ses rêves. Il les notait chaque matin à son réveil sur un carnet, avec un croquis les illustrant. Puis il a relié ce journal intime très particulier pour en constituer deux volumes. A la mort du maestro, l'oeuvre fut déposée dans le coffre d'une banque romaine par ses six héritiers. Le Livre de mes rêves est enfin publié chez Flammarion.

L'acquisition de cette pièce de collection par la Fondation Federico Fellini, créée en 1995 afin de conserver et de diffuser les archives du maestro, fut, c'est le moins que l'on puisse dire, mouvementée. Une clause exigeait la présence physique des six déposants pour retirer l'objet du coffre. Si la fondation s'était vue céder deux parts, celles de Maddalena, soeur de Federico, et de Rita, la fille du frère de Federico, le prix demandé par les quatre autres héritiers, de la famille de Giulietta Masina, était un peu fou. Il fallut attendre 2005 pour parvenir à un accord. Il fallait aussi régler le problème juridique de la présence des ayant-droit, certains étant décédés. Un notaire fit alors valoir un vice de forme dans l'une des pièces administratives, si bien que la fondation ne put disposer du Livre de mes rêves qu'en 2006 ! Mais enfin, il est là et bien là. Ouvrons-le !

Tullio Kezich écrit dans une introduction : "Ce que nous appelons Le Livre de mes rêves est constitué de deux grands livres de formats différents (le premier, le plus petit, mesure 25 x x35 cm ; le second, 34 x 48 cm), où Fellini, suivant les instructions du psychanalyste Bernhard, prit l'habitude de noter et d'illustrer ses rêves. Le premier livre (d'environ 245 pages) couvre la période comprise entre le 30 novembre 1960 et le 2 août 1968 ; le second (154 pages) commence en février 1973 et s'achève en 1982 : vingt-deux ans donc, auxquels s'ajoutent des feuilles volantes et quelques notes datées de 1990. Dans leur ensemble, les deux tomes englobent ainsi trois décennies. L'interruption de quatre ans et demi, autour de 1970, bien que couverte par quelques feuilles volantes, reste un problème non résolu : certains soutiennent que, pendant cette période, le Maître perdit l'habitude de transcrire ses rêves, d'autres sont au contraire convaincus de l'existence d'un livre intermédiaire, imprudemment prêté à un chercheur américain ou bien perdu lors d'un déménagement. Il faut en tout cas ajouter aux quelques 400 pages de l'ensemble un nombre indéterminé de feuilles coupées à la lame de rasoir et offertes en vue d'une publication dans des revues." (p.10) Il y a aussi, à part les deux volumes qui constituent le gros de ce livre, quelques feuilles détachées du corpus original dans deux sections différentes. Dans celle intitulée «Feuilles volantes», sont reproduites des feuilles isolées, des notes et des dessins. Dans celle intitulée «Feuilles offertes» sont reproduites six pages découpées par l'auteur et offertes à ses amis.

Il y a beaucoup de choses dans ce livre majestueux et imposant, lourd à vous briser le dos, et que l'on manipule telle une relique : des scènes érotiques, des scènes de la vie quotidienne, des scènes de cinéma. Le coeur bat la chamade devant pareil trésor. Un nombre fou de personnages célèbres défilent devant nos yeux émerveillés, de Marcello Mastroianni à Pablo Picasso, Georges Simenon, Salvador Dali, Jean XXIII, Laurel et Hardy, Luchino Visconti... Fellini rêve même qu'il dort avec Pasolini, ce qui est fort ambigu... Il y a bien évidemment les femmes : souvent plantureuses, nues, aux cuisses colossales. L'une est dotée d'un clitoris monstrueux. On reconnaît bien sûr Guilletta Masina (jalouse des maîtresses de Fellini : elle accouche d'un requin !), Sophia Loren (Fellini rêve qu'il fait l'amour avec elle), Anita Ekberg... Fellini rêve même de Casanova et que celui-ci fait partie des Brigades rouges. Quelle idée géniale, en passant...

Sur les conseils de son psychanalyste, le jungien Ernst Bernhard, Federico Fellini notait donc ses rêves. Méthodiquement même. Il se représente de dos, chevelu et maigre ! Si l'on peut être étonné de certains rêves morbides, de leur récurrence, c'est que l'on avait mal regardé dans le détail les films du maestro. Le cauchemar, la catastrophe, la mort, la maladie, les situations de fragilité y abondent... Rappelons le bateau qui coule dans l'un de ses chefs d'oeuvres, E la nave va. Si le cinéma de Federico Fellini a quelque chose de festif, c'est aussi de l'amertume de la fête dont il est question, et de l'après-fête... Que l'on se rappelle encore quand Alberto Sordi traîne l’air hagard une grosse poupée dans I Vitelloni. C’est sans doute pour cela que le cinéaste aimait ses opposés au cinéma, Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni ou Stanley Kubrick.

Mais l'on comprend intuitivement grâce à ce livre foisonnant et sublime pourquoi Federico Fellini tenait sans doute à noter ses rêves. On sait qu'il avait toujours une grande envie d'aller dormir car il savait qu'il allait rêver ! Et il avait une chance inouïe, il se souvenait de ses rêves ! Il avait ce goût particulier pour mêler dans ses films le rêve et la réalité, pour bien montrer le cauchemar de la réalité (Casanova et son une automate, singe de la femme réelle...). Federico Fellini avait aussi le goût pour le monstrueux, pour dire aussi l’essence profonde de notre nature et de notre condition. Rappelons-nous la grosse méduse échouée à la fin de La Dolce Vita, ou le rhinocéros dans E la nave va !

Et puis les rêves disent tellement de choses de nous, des plus cocasses aux plus troubles ! Notre tissu secret intérieur. Des choses de nous qui, de surcroît, nous échappent, quand nous voulons tout diriger dans nos vies. Nos rêves, nos films intimes... sans pellicules. Et Federico Fellini aimait aller jusqu’au bout de ce qui pouvait le tarauder en tant qu'homme ; magicien maestro qui révèle ses trucs sans rien perdre de sa magie, rappelons enfin le plan final de E la nave va où la caméra dévoile le décor du bateau et se filme dans un miroir… Comme pour dire : «Voilà je vous montre tout, tous les artifices. Je ne peux pas aller plus loin !»

Le lecteur ou l’amoureux de l'œuvre sera ravi de rentrer dans cette fellinienne caverne d’Ali-Baba. C’est un peu impudique, il faut le dire et l’avouer et l’on espère que Federico Fellini ne serait pas vraiment gêné. Le feu d’artifice, textes jubilatoires et croquis colorés, nous laisse émus, les yeux pleins d’étoiles, mais la bouche amère aussi de savoir que Federico Fellini ne fera plus jamais... d'images.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 12/12/2007 )
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