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Poches -> Littérature |
| Philippe Sollers Les Voyageurs du temps Gallimard - Folio 2011 / 5,60 € - 36.68 ffr. / 258 pages ISBN : 978-2-07-044030-6 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en janvier 2009 (Gallimard - Blanche)
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Les Voyageurs du temps, du prolifique Philippe Sollers, nest assurément pas un roman. Cest une longue prose volontiers digressive navigant dans les eaux troubles et mêlées de lautobiographie, du récit poétique, de lessai littéraire. On y retrouve l«ethos» sollersien tel quon aime à se le figurer, tel quil aime à en jouer : jouisseur, cérébral, érudit, goguenard, désinvolte, ardent lecteur et citeur. Dans cet opus, le narrateur exprime son refus du temps présent, marqué selon lui par le règne des «parasites» : terme derrière lequel on devine les tenants de labêtissement généralisé, médiatique, capitaliste, publicitaire, utilitariste, glorifiant linstant «rentable» et performant. Léloge de LÉloge de la paresse de Lafargue, contre le «travailler plus pour gagner plus», est suffisamment éloquent.
En marge de ces parasites qui nous gouvernent officiellement et officieusement, le narrateur décide de devenir un voyageur du temps : il sagit, plutôt que de se complaire dans le ressentiment vis-à-vis dun présentisme étouffant, de rejoindre par et dans lécriture les auteurs et les textes qui lont marqué et qui laccompagnent toujours. Les Voyageurs du temps se présente alors comme une gigantesque anamnèse littéraire, où lintertextualité (notamment par le procédé constant de la citation) nest pas un des aspects du texte parmi dautres, mais pour ainsi dire son principe structurel. La galerie dans laquelle voyage Sollers, parmi ces autres voyageurs du temps que sont les auteurs quil admire, voit défiler Kafka, Ponge, Rimbaud, Hölderlin, Céline, Lautréamont-Ducasse (les Poésies sont davantage convoquées que Les Chants de Maldoror) et bien dautres
La littérature est immortalité, «mémoire perpétuelle» ; elle est passage et transmission. Elle renoue avec la pensée, la beauté, lexaltation, la profondeur et lépaisseur temporelles : autant déléments que le présent et limmédiat napportent pas.
Ce voyage temporel est aussi, on sen doute, affaire de généalogie et de filiation pour Sollers. Il est clair que lécrivain se place dans la droite file des auteurs suscités. Sollers le Bordelais se plaît dailleurs à rappeler quHölderlin a séjourné à Bordeaux, quIsidore Ducasse y a débarqué lors de son arrivée en France : manière de dire que le passage de relais, à travers le temps, sest bien effectué. On peut y voir de la mégalomanie, un orgueil mal placé : Philippe Sollers le sait bien, mais persiste et signe, par provocation et conviction. De même, on ne peut quêtre agacé par certaines de ses prises de position, qui paraissent forcées par rapport au reste de louvrage : par exemple son éloge du papisme ou son mépris envers luniversité et les professeurs qui sy trouvent. Enfin, laccumulation de citations finit parfois par susciter la lassitude et frôle lexercice dérudition gratuit.
Le livre est bien plus émouvant lorsquil fait place à la mélancolie et accueille tous ces spectres littéraires. Les errances dans Paris, qui font de Sollers un nouveau «Paysan» de la capitale à la manière dAragon, deviennent des jeux de pistes, des cheminements dans le temps, à la recherche de signes à déchiffrer pour se rapprocher des grands absents, pour toucher leurs traces et sentir leur présence. Cest dans ces moments-là, lorsque le tourbillon érudit et quelque peu auto-glorifiant se calme, que le ''roman'' nous touche le plus. Accepter le temps, le passé, en faire son miel, ne pas craindre ce que les thuriféraires du présent appellent linactualité, se rapprocher de l«antimoderne» (Antoine Compagnon) sans crainte : voilà ce que semble affirmer Sollers dans Les Voyageurs du temps. Une élégie souriante et confiante en somme.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 14/03/2011 ) Imprimer | | |
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