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Poches -> Littérature |
| Pascal Quignard La Barque silencieuse - Dernier royaume - Tome VI Gallimard - Folio 2011 / 6.20 € - 40.61 ffr. / 246 pages ISBN : 978-2-07-043738-2 FORMAT : 11cm x 18 cm
Première publication en septembre 2009 (Seuil) Imprimer
Cest plutôt curieux que le lecteur aborde lécriture de Pascal Quignard et plus précisément ce sixième volet du Dernier Royaume. Curieux, et imaginant se régaler bientôt de mignardises de style et de profondeur, mais bientôt décontenancé, car ce sont des mets plus raffinés encore quil découvre, trop raffinés parfois, dune cuisine sophistiquée quon dirait de ces grands chefs qui à force de précision rabotent toute la chair de leurs préparations
Ni essai, ni roman, ni recueil de fragments, La Barque silencieuse veut saffranchir de tous ces genres, et ne relever daucun. Cet esquif vogue ainsi dîle en île sans jamais tracer une carte nette de larchipel qui sous les yeux se déploie. Darchipel, on nen veut plus ! Ainsi, Pascal Quignard refond des contes et des mythes, sessaie à remonter des fils étymologiques jusquau cur impollué de la langue ce cur qui sans cesse se dérobe , propose des fragments et des aphorismes, bref, dévide une pensée délivrée de la tentation de la synthèse, du point final, du «Jy suis !». Nous y voyons, sil faut absolument y voir un objet précis, un recueil de prières à la langue. Non pas des prières qui fixeraient pour jamais labsolu formel que réclame toute liturgie, cette liturgie que Quignard méprise, mais des prières qui connaissent ce qui les sépare de ce quelles essaient de nommer, de ce quelles appellent ; qui se souviennent de leur précarité et de leur flottement. Comme le confesse demblée Quignard à lincipit du livre : «Jaurais passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Quest-ce quun littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. Ils tremblent toujours un peu sous la forme étrange quils finissent pourtant par habiter. Ils ne disent ni ne cachent : ils font signe sans repos».
Sil est vain de vouloir résumer en quelques lignes les préoccupations, les obsessions et les rêves de Quignard, voici cependant ce qui résonne dans la mémoire fraîche du lecteur lorsquil referme le livre : la quête nostalgique de lorigine, de ces deux «royaumes» davant la vie linguistique que sont la vie utérine puis la vie davant la langue, cest-à-dire davant le mensonge, puisque : «Tout le langage en nous, nétant pas de souche, étant volé, est celui dun menteur» ; le suicide ; la mort ; la liberté et la solitude ; le temps ; lathéisme enfin, que Quignard appelle «désabusement» et veut un nihilisme assumé, en réponse à Nietzsche qui se demandait si lhomme aurait la force de supporter la mort de Dieu, un nihilisme de combat que tente de raviver un Quignard un peu affolé de sentir à nouveau monter des parfums dencens aux abords des églises, ces églises quil naime que comme dernier refuge du silence
Quignard, hélas, est souvent fastidieux : il agace, il irrite, il impatiente, dès linstant quil sengourdit, ahanant, dans des définitions dont lhermétisme et la lourdeur alambiqués paraissent hérités de philosophes allemands fameux pour leur digestion encombrée. Ainsi de cette phrase, qui eût pu être belle mais qui ne lest quà moitié, parce quelle court après le poétique comme un chien après une balle de jokari : «Nous sommes orphelins dune joie qui navait pas encore devant elle, quand elle vint surgir en nous, un peu après que nous surgîmes sous le soleil de cette terre, de mémoire où se faire souvenir». Chacun ses goûts, mais croit-on que le vrai puisse surgir sans dommage dentortillements stylistiques de cet acabit, et dune écriture qui hésite entre latticisme et la pompe ? Restent par bonheur des passages où Quignard sabandonne à une clarté simple et tonique : ceux où la passion et lénergie remontent à la surface et font se craqueler la glace qui couvre une partie du texte, ceux où se découvre, sous les songes denses et précieux, le cur battant de Quignard : où la haine de toute société jaillit, et la fierté dune solitude farouche, dune liberté accomplie. Où lon sent mieux laccord avec ce beau précepte : «Savoir achever est le secret de lart». Ainsi par exemple cet admirable chapitre XX intitulé «Ne deviens pas toi-même», une méditation sur limpératif fameux de Pindare : «deviens ce que tu es», impératif que Quignard, avec une hargne rentrée, mais aussi précision et panache, déconstruit. Voici : «Ne cherche pas à être différent des autres car lenvie dêtre différent des autres, cest cela le monde. Cest cela sadapter aux usages du plus grand nombre et des rivaux. Faire lintéressant cest avoir envie dêtre identifié. Ne fais pas lintéressant. Ne tidentifie à rien. Ne deviens pas identique à toi-même. Ne va pas vers toi». Du reste, cest plus Pindare travesti par lépoque que Pindare lui-même qui est ici ruiné de fond en comble et avec allégresse.
Quignard, après avoir ainsi achevé lego, viendra plus tard achever le langage, en quelques lignes foudroyantes : «Je pense que pour ce qui anime lâme lathéisme nest pas possible car il est impossible darracher entièrement une humanité qui parle à lhallucination verbale et aux idées abstraites qui émanent peu à peu des mots. Plus encore : il est impossible darracher les mammifères au rêve nocturne sans les rendre fous». Cette hallucination verbale que le XXe siècle a découverte à la source de toute beauté
et de tous les charniers !
Lathéisme absolu, cest juste, est rendu impossible par le langage : Pascal Quignard lécrivain ne refuse donc pas le paradoxe, lui qui veut se dévêtir de toute croyance, et comment ? En dénudant le langage au moyen du langage.
Jean-Baptiste Fichet ( Mis en ligne le 25/07/2011 ) Imprimer
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