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Un diagnostic fatidique
Abha Dawesar   L'Inde en héritage
10/18 - Domaine étranger 2010 /  8.20 € - 53.71 ffr. / 347 pages
ISBN : 978-2-264-05206-3
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en Août 2009 (Éditions Héloïse d’Ormesson)

Traduction de Laurence Videloup.

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Le téléspectateur a pu voir les rêveries opiacées et rose-orangées des derniers hippies céder du terrain devant les fumées des aciéries Mittal, de nouvelles images mentales se sont superposées aux scènes de reportages humanitaires, et les délocalisations de services informatiques vers la «plus grande démocratie du monde» font désormais parler de l'Inde plus souvent que la situation des intouchables. Sans disparaître, de vieux stéréotypes à la vie dure ont dû composer avec les espoirs et les craintes suscités par un géant démographique en pleine expansion économique, dans les regards occidentaux mais pas seulement, si l'on en croit certains échos récents.

Ainsi, en 2008, Le Tigre blanc mêlait savamment l'un et l'autre aspect pour retracer d'une voix grinçante la trajectoire d'un chef d'entreprise à la mode locale. Quel dosage allait donc adopter Abha Dawesar dans ce Family values ? Car, qu'on ne s'y trompe pas, en élargissant la portée du propos par le choix du titre français L'Inde en héritage, L. Videloup ne commet pas d'impair et nous semble assez fidèle aux ambitions du texte offert. Le recours au format classique de la fresque familiale permet à l'auteur d'exposer une variété de situations sociales, morales, financières telle qu'une esquisse de tableau du pays s'en dégage forcément.

Or A. Dawesar n'est pas n'importe qui : la reconnaissance dont elle bénéficie dans son pays lui a permis d'être sacrée personnalité de l'année par India Today et Time out. Ses précédents romans ont fait date, en dépit (ou à cause) du fait qu'elle ait choisi des thèmes de sociétés parfois sensibles, comme l'homosexualité, et ce Family values est un best-seller en Inde. Pourtant, à côté de ces points qui plaident en faveur d'une certaine authenticité, il faut en noter d'autres, comme ses études à Harvard, son intérêt pour le monde de la finance, son choix d'habiter désormais à New York, ou ses débuts en tant que plasticienne. Dans une nation écartelée entre ville et campagne, entre classes-ghettos, il est difficile d'embrasser l'ensemble du panorama sans prendre position : quelle est au final sa conception, sa connaissance de l'Inde, et qu'a-t-elle envie de nous en dire ?

Lorsque la quatrième de couverture évoque une «fibre subversive», l'on est tenté de dire que c'est légèrement abusif dès lors qu'il n'a pas fallu attendre 2009 (première publication en France, aujourd'hui en poche chez 10/18) pour entendre parler de vol d'organes, de fémicides, de bidonvilles ou de corruption. Pour ne citer qu'un ouvrage, Dominique Lapierre écrit La Cité de la joie en 1985. Pourtant, ce qui est intéressant ici, c'est la façon dont une sorte de classe moyenne nous est montrée, avec ses manières particulières de louvoyer entre modernité et traditions (d'où le sous-titre : New Delhi, vieux démons), ses contacts avec la fange comme avec les puissants. C'est l'idée d'une vague forme d'homogénéité, de «vivre ensemble» d'une nation qu'on présente souvent comme l'archétype de la société inégalitaire, qui surprend le plus. Sans nier ce fait, le narrateur corrige d'un façon moins ironique qu'on pourrait le penser : «Et tous les hommes sont égaux, même si tous ne portent pas des bonnets également gros» : quand bien même les droits et possibilités de chacun sont différents, cela n'empêche pas les individus de tous milieux de frayer ensemble, à des moments donnés, pour une raison ou une autre.

L'action est vue à travers l'œil d'un petit garçon, fils de médecins honnêtes et (donc) pauvres, bien qu'en mesure de vivre une existence relativement décente. Contrairement à bien des auteurs, A. Dawesar n'utilise pas cet artifice pour confronter la candeur enfantine à la méchanceté du monde ; «l'enfant», qui n'est jamais nommé autrement, est d'une intelligence aussi avisée que sa constitution est faible. Ses parents ont tenu à lui donner au fur et à mesure les moyens de comprendre le monde qui l'entoure et il se débrouille de son côté pour apprendre auprès de ses cousins, de sa cousine, de ses oncles et tantes, de son grand-père, du dictionnaire et de la télévision tout ce qui pourrait lui manquer pour déchiffrer les intrigues qui se présentent à lui.

Au dispensaire que tiennent ses parents, viennent surtout des patients pauvres, habitant pour une bonne part le bidonville voisin, mais aussi certains petits notables et même un grand trafiquant, et la présence dans la famille de fonctionnaires ajoute encore un élément à la diversité sociale des personnages entourant l'enfant. Tout comme l'impossibilité d'établir un diagnostic médical est en soi source d'angoisse et de peur, la difficulté à analyser les situations est l'un des pires obstacles rencontrés par cette famille et le pays tout entier, à les en croire, sur le chemin du progrès vertueux. L'autre obstacle, jamais clairement défini, est constitué par le poids d'un fatalisme que l'on devine omniprésent.

La dénonciation du rôle joué par «le parti» dans les liens entre mafia et police, les tentatives de refuser la corruption, les mariages d'amour, les projets professionnels et les relations familiales, tout vient buter contre un sentiment d'impuissance dont la traduction la plus immédiate est le recours systématique aux astrologues. En identifiant chaque personnage par l'un de ses attributs, l'enfant contribue également à figer le paysage et sa compréhension des enjeux indiens le conduit à douter parfois des principes humanistes portés par une famille «avancée» et rationnelle.

Acerbe sans être totalement désabusé, le point de vue de l'auteur est donc subtil et apparemment éloigné de tout esprit partisan, mais c'est justement cette objectivité qui, tout en étant intéressante, peut poser le plus question : qui concerne-t-elle ? Qui peut s'identifier aux héros du roman, en Inde, aujourd'hui ? Le grand succès qu'il a remporté permettrait de croire que nombreux sont ceux qui se retrouvent dans le récit des déboires de cette famille ordinaire. Mais l'illettrisme si fréquent et surtout les trésors de compassion que peuvent susciter les problèmes des stars bollywoodiennes, trésors évoqués dans L'Inde en héritage, font relativiser cette opinion. En réalité, mieux vaut sans doute considérer, ici, que «l'objectivité» est un point de vue comme les autres sur l'actualité indienne... D'autant que les qualités romanesques de L'Inde en héritage suffisent à justifier la lecture d'un ouvrage intéressant sans être révolutionnaire, dans lequel il devient par conséquent inutile de chercher une vérité absolue.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 03/06/2011 )
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