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Poches -> Littérature |
| Jean-Marie Rouart La Guerre amoureuse Gallimard - Folio 2012 / 6.50 € - 42.58 ffr. / 257 pages ISBN : 978-2-07-044652-0 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en janvier 2011 (Gallimard - Blanche) Imprimer
On pourrait créer un sous-genre littéraire pour décrire le rapport dun narrateur à une femme fatale dans le roman contemporain. Si la littérature du XVIIIe siècle sattelait précisément à analyser les grands principes fondateurs de la séduction des curs et de la supériorité théorique dun sexe sur lautre, celle de la fin du XXe siècle et du début de celui-ci sattache à nous compter les péripéties, même si elles sont parfois cruelles, dun homme soumis aux terribles lois de la nature féminine. Citons pour exemples récents Yves Simon pour Le Prochain amour (1996), Jean-Paul Enthoven avec Aurore (2001), et le roman qui nous intéresse ici, La Guerre amoureuse de Jean-Marie Rouart. Si le sujet est atemporel et universel, et les romans ne manquent donc pas sur ce thème, citer ces trois ouvrages pose un contexte précis : celui, agaçant, de lédition parisienne, avec son cortège déprimant décrivains faussement géniaux, dartistes modernes ringards, déditeurs sympathiques et affligeants, dargent facile, de vernissages pédants et de muses adolescentes et leurs rêves de cuir contraint
Le début du roman de Jean-Marie Rouart (né en 1943) ne déroge pas à la règle : un directeur de revue artistique, malgré une grande lassitude, se rend en Finlande afin de faire une conférence sur la critique littéraire. Il nest pas content du tout de ce voyage au pays du froid et de la pénombre mais la rencontre fortuite avec Helena, jeune étudiante aussi belle quinintéressante, va bousculer à la fois la vision quil avait de ce beau pays et son existence parisienne pour le moins pépère, la jeune fille ayant la sombre idée de venir prolonger ses études sur Fromentin à Paris. La suite se devine aisément. Elle est belle, cruche, menteuse, dissimulatrice, un peu perverse et le monde entier va se larracher devant les yeux fatigués et la mine triste du narrateur, médusé daimer cette jeune femme plutôt banale mais si sensuelle (cela va souvent de pair, malheureusement). Problématique universelle de la nature masculine imbriquée avec celle, insaisissable, de la femme convoitée.
Dès la rencontre, aussi brève soit-elle, dès le premier coup de téléphone très éloquent à cet obscur personnage quest Helena, dès le passage à l'acte, tout homme averti et avisé aurait laissé tomber, sentant les ennuis venir. Car ces femmes-là se rencontrent à grande échelle dans les mégapoles, et mieux vaut en fait, si lon ne veut pas juste les éviter, les posséder une ou deux fois, puis passer son chemin ! Sauf que le narrateur saccroche, sans autre raison qu'un amour aveugle. Il est ému, par sa jeunesse sûrement, son corps de jeune étudiante ; les moments sexuels hypnotisent notre héros, piégé face à une sensualité enfin réveillée (un peu coureur mais blasé, il se contentait jusquici de coucheries extra-conjugales tout en revenant toujours honorer le cocon familial !). Il laccueille chez lui ou se rend à son domicile, en fonction des semaines du calendrier étudiant.
Mais très vite et après un petit séjour idyllique en montagne, il découvre chez cette finlandaise un goût prononcé pour la tromperie, le chantage incohérent, le mensonge éhonté voire labsence répétée. Surtout, un plaisir sans fin de plaire
Convoitée par le tout Paris bobo (en les personnes de Molnar, le sculpteur pervers, ou Jim, léditeur séducteur), elle se donne à ces affreux jojos tout en jouant le jeu de linsoumise farouche que lon ne peut enfermer dans un couple ou un noyau familial (tout en prônant linverse de ce quelle fait). La jeune femme on la compris, consciente de sa beauté, fait surtout ce qui lui plait, et quand lascension sociale et le plaisir charnel viennent agrémenter sa misérable vie détudiante en lettres modernes, aucune barrière ne l'empêchera d'arriver à ses fins. Le narrateur subira son joug de la pire des manières, cest-à-dire en renonçant et en cédant à tout va ! Lidée est de décrire les phases successives et brutales dans lesquelles son âme tourmentée le plonge.
Trois choses plaisent beaucoup dans ce roman, malgré une fin décevante : dabord la simplicité du style narrant cette terrible histoire. L'académicien Rouart écrit cela de la plus directe des manières, en évitant de prendre la pause, ce qui rend le sujet dautant plus crédible, voire touchant. Ensuite, cette quête de lautre qui est aussi quête de soi est une véritable enquête, menée de front comme pour un roman policier. Chaque événement nous en apprend davantage sur ces caractères dilués par la vie courante. Bouleversement, renoncement, voyages, séparations, retrouvailles, tentative de suicide ou encore célébration de lamour font de ce roman une véritable course vers la vérité de ce que chacun vit ou ne vit pas quand lautre devient tour à tour passerelle ou obstacle vers la sérénité. Enfin, ce thème universel de lamant sensible (mais aveuglé par sa sensiblerie et sa représentation forcément tronquée dun amour romantique fantasmé), éconduit impitoyablement par la femme fatale (fatale mais aussi banale, et donc ne pouvant logiquement pas rendre un homme fou), est bien rendu ; le lecteur, dès le début, sait que le narrateur, après avoir été vaincu une première fois, ne devrait plus jamais tenter de revenir vers son ancienne conquête...
Or, plus il avance, se croyant sauvé, plus il se perd dans un malheur annoncé et inéluctable. Ce chemin douloureux et tortueux, quil se construit lui-même, est parcouru avec beaucoup de brio, même si lon reste toujours sceptique face au cadre social décrit, ce monde formaté et très privé de lédition et de lart parisiens, où lon croise toutes sortes dêtres nombrilistes dénués dintérêt. On devine que ces personnages, bien trop subjectifs et stéréotypés, nont pas dautre fonction dans le roman que de meubler lintrigue et de créer un cadre. Rouart en abuse peut-être un peu, surtout à la fin du roman ; là, le lecteur assiste à une chute assez convenue et somme toute banale. Si Rouart brillait à décrire les rapports guerriers qui se créent dans une relation amoureuse, il demeure trop attaché à son propre ego et clôt son roman sur de faibles considérations psychologiques, délaissant ainsi son héroïne. Comme si Rouart, ayant abandonné son roman vers la page 200, lavait repris un an plus tard, lui donnant une touche finale sans grand intérêt au vue de lintrigue, et décalée par rapport à un propos jusque-là bien tenu. Curieuse façon de clore un sujet universel.
On pense à LEnnui de Moravia ou au Tunnel de Sábato, mais chez Rouart, on est encore loin du sordide ou de la véritable neurasthénie. Son personnage souffre mais il est conscient de son inaltérable faiblesse, de son caractère libidineux mais lucide. Il aurait fallu davantage creuser sur le rapport improbable entre ces deux êtres chez qui une simple discussion autour dun pot estudiantin se transforme en moment de vie à la fois tragique et totalement gratuit. En effet, le narrateur se base sur quelques secondes de conversation pour retrouver cette fille quil ne connaît pas (et quil ne connaîtra sans doute jamais). En somme, lattrait purement physique ne découle généralement sur rien, ou du moins, sur une énorme désillusion. Mais comme le disait Montherlant, sil y a de lacquis
Jean-Laurent Glemin ( Mis en ligne le 04/06/2012 ) Imprimer
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