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Mitchell aime Madeleine qui aime Leonard…
Jeffrey Eugenides   Le Roman du mariage
Seuil - Points 2014 /  8.30 € - 54.37 ffr. / 572 pages
ISBN : 978-2-7578-4125-9
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en janvier 2013 (L'Olivier)

Olivier Deparis (Traducteur)

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Né en 1960, Jeffrey Eugenides, enseignant à Princeton, est l’auteur de trois romans : Virgin Suicides (1993), Middlesex (2002) et celui-ci : Le Roman du mariage.

Dans ce livre touffu (570 pages), le lecteur trouve pêle-mêle l’évocation des campus américains (ce qui, dans la littérature américaine, est un genre à soi), une relation d’amour à trois - le classique triangle amoureux de la littérature occidentale -, le tout petit monde des colloques universitaires en quelques pages qui évoquent David Lodge (référence incontournable dans ce domaine !), une description de la société américaine du moins dans ses classes aisées et moyennes, un long voyage d’Europe en Inde, jusque dans les mouroirs de mère Térésa, et enfin ce que Eugenides considère comme le cœur de son roman : la psychose maniaco-dépressive que l'on nomme aujourd’hui biloparité. Autant dire que la matière ne manque pas, d’autant que le récit est bien mené.

L’intrigue : le roman commence en juin 1982, le jour de la remise solennelle des diplômes sur le campus de Brown University, dont Eugenides est un ancien étudiant. Madeleine, étudiante douée, achève un cursus de littérature, en désirant se spécialiser en littérature victorienne. Elle a observé avec perplexité la lecture nouvelle du structuralisme et de la déconstruction du récit importée de France et qui fait fureur aux États-Unis dans les années 1980 ; son livre préféré est alors Fragments d’un discours amoureux de Barthes. De l’impuissance aussi de la littérature face à la réalité puisque, loin de déconstruire l’amour, Madeleine va y succomber ! Ses parents viennent assister à la cérémonie et Jeffrey Eugenides campe avec finesse ce couple de WASPs, qui sait son appartenance aux classes supérieures, fort de ses acquis et de sa position sociale, et qui voit dans les lauriers de leur fille la juste reconnaissance de leurs talents. Madeleine, cependant, n’accorde que peu d’attention et à ses parents et au campus en fête, toute à son amour pour Leonard Bankhead, le séduisant Leonard, étudiant en biologie qu’elle a rencontré à un cours de littérature : ''Sémiotique 211 -  Le roman du mariage : œuvres choisies d'Austen, d'Eliot et de James''.

Abandonnant fête et parents, elle le retrouve à l’hôpital où il est interné à la suite d’un épisode maniaque. Si Madeleine est amoureuse de Leonard, Mitchell, lui, est amoureux de Madeleine. Mitchell, aux antipodes de Leonard, étudiant sérieux, conquis par la théologie et la religion. Le trio cher aux romanciers est en place, et, en léger suspense continu, le lecteur peut se demander qui Madeleine choisira finalement…

Pour Jeffrey Eugenides, le sujet est plutôt la maladie de Leonard, cette maladie que l’on peut régulariser avec des prises de lithium, dont les effets secondaires (prise de poids, inertie, aboulie…) sont pires aux yeux des malades que leur maladie : en épisode maniaque, le bipolaire se sent en pleine possession de toutes ses facultés et au-delà… La question : Madeleine réussira-t-elle à vivre durablement avec Leonard ? Et lorsque Mitchell sera revenu de son «tour» indo-européen, son amour sera-t-il reconnu ? Autre thème : le mariage peut-il encore, comme dans les romans victoriens, constituer l’armature d’un récit ? En fait, en dépit du titre, le mariage en soi n’intéresse guère les trois héros, il peut ou non être choisi, l’essentiel est ailleurs.

Jeffrey Eugenides tisse avec brio un récit aux sujets foisonnants, autant d’épisodes : les descriptions ironiques des universitaires, littéraires comme scientifiques (ces derniers richement entretenus par des sponsors dans un laboratoire au Cap Cod) ; le colloque auquel assiste Madeleine qui découvre à la fois qu’on peut lire autrement la littérature victorienne et le «genre» qui commence à se développer comme champ intellectuel, la révolution culturelle à ses débuts dans les années 1980. Eugenides se livre avec talent à une description aiguë de la société américaine : les parents grands-bourgeois aisés et intellectuels de Madeleine, les Américains de l’Amérique profonde : les parents de Mitchell, la famille bohème de Leonard. Trois enfances profondément différentes qui expliquent peut-être trois personnalités.

Au centre : Madeleine, jeune femme «rangée» comme sa bibliothèque sur laquelle s’ouvre le roman : «Voyons d’abord les livres. Il y avait là les romans d’Edith Wharton, rangés non par ordre alphabétique, mais par date de publication ; là, les œuvres complètes d’Henry James chez Modern Library, un cadeau de son père pour son vingt et unième anniversaire (…) Bref, une bibliothèque bien fournie quoique encore transportable, qui rassemblait à peu près tout ce que Madeleine avait lu à l’université (…)». Et, conclut l’auteur, ces livres peuvent se lire comme un implacable test de personnalité  : «Incurable romantique».

Autant que de la maladie de Leonard, le roman est celui de l’émancipation de Madeleine, qui grandit au fil des pages, reste sans aucun doute romantique et attachée au roman victorien qui se termine le plus souvent par un mariage, à la différence des histoires d’amour du XXe siècle finissant auquel elle appartient ; désormais unions libres, divorces sont le lot commun, le mariage est un passage qui n’a plus rien d’obligé… Chacun à sa façon, les trois héros construisent d’autres fins possibles qu’ils préfèrent car elles sont les leurs, celles de leur choix. On peut rappeler en souriant la définition que Daniel Pennac, dans Comme un roman, donne de Guerre et paix de Tolstoi : «C’est l’histoire d’une fille qui aime un homme et en épouse un troisième», il y a de cela dans Le Roman du mariage…

Un fil directeur court tout au long des 570 pages : celui de la liberté des individus, liberté de Leonard de se soigner ou pas, liberté de Mitchell d’assumer son amour pour Madeleine et de le sublimer dans son idéal religieux, liberté pour Madeleine de s’opposer à ses parents, de trouver sa propre voie.

Jeffrey Eugenides est un romancier rare, trois romans en 20 ans : dommage ! Car on éprouve toujours autant de plaisir à le lire (en dépit de quelques longueurs…).


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 07/03/2014 )
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