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Mit Blindè trit iber der erd | | | Leïb Rochman À pas aveugles de par le monde Gallimard - Folio 2013 / 10 € - 65.5 ffr. / 866 pages ISBN : 978-2-07-045314-6 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Aharon Appelfeld (Préfacier)
Rachel Ertel, Nadia Déhan-Rotschild (Traduction) Imprimer
Comment entrer dans un livre dune aussi exceptionnelle intensité? «Il faut du temps pour le lire et se laisser porter par lui», suggère Rachel Ertel (en mai 2012 sur Arkadem et en septembre 2012 au MAHJ) pour qui la traduction de ces quelque huit-cents pages a exigé plus de trois années de travail. Il faut du temps en effet pour pénétrer les profondeurs de lâme. Il faut du temps aussi pour découvrir limmensité de son contenu à travers lépaisseur symbolique de lécriture quà cet égard on serait tenté de rapprocher de celle dOtto Dov Kulka. Construit dans lentre-deux dun trop de réel insoutenable et sa transposition subjective en matériau onirique et poétique, voire surréaliste, de lunivers hassidique doù lauteur puise ses origines, au renoncement profane où lont conduit ses choix, À pas aveugles de par le monde entraîne le lecteur au cur de lHistoire des Juifs, à travers les multiples répétitions de leur destruction programmée et des voies de leur résurgence.
Dans cette composition dinspiration autobiographique où, à linstar des mécanismes du rêve ou du fondu enchainé, les plans se fondent et sinterpénètrent, Leïb Rochman (1918-1978) met en mots, en images, et en musique serait-on tentés de dire, limpensable retour des Plaines après l«Anéantissement». Mais un traumatisme en cache un autre : à peine revenu au pays natal au sortir miraculeux des massacres nazis, expérience dont il rédigera le journal (Un in dayn blut zolstu lebn, tog-bukh-1943-1944), lécrivain et journaliste réchappe du pogrom de Kielce avec de graves blessures, événement évoqué dans le présent ouvrage sous couvert de fiction. Mit Blindè trit iber der erd a été publié en yiddish, en Israël en 1968. Il aura fallu plus de vingt années de silence pour que, par le biais de diverses facettes linguistiques, lauteur sautorise à remémorer, non pas les faits, dont les circonstances aujourdhui encore restent obscures, mais le cheminement de sa pensée au cours de ses pérégrinations réelles et imaginaires en Europe : Lodz, Lausanne, Offenbach/Main, Amsterdam, sur les rives du Tibre
ou dans le désert de Judée.
Des incommensurables violences à légard des personnes, des biens et du patrimoine culturel, éprouvées dans un proche passé, vécues aussi par les siens en dautres millénaires, il sublime la trace haineuse en mansuétude et acte damour. Sur la scène dun tribunal fictif réplique de celui qui devait bannir Baruch Spinoza de la communauté juive dAmsterdam , se déroule comme dans une sorte de rêve récurrent, non pas le procès des bourreaux, quil serait vain de désigner nommément vu lampleur de la catastrophe, mais le sien propre et celui de ses pairs. Au jugement des hommes se substitue un regard introspectif : et toi, Leibl (diminutif du prénom de lauteur), quas-tu donc fait de ta vie ? Aussi les seuls comptes à rendre concernent-ils lidentité juive, celle que chacun, observant ou non, mort ou vivant, porte en son âme au moment de la suprême confession. Mais dès lors, comment «survivre» avec pour éternel fardeau les morts sans sépulture tandis que des corps impatients sourdent à nouveau les germes de la vie ? La question est confiée à quatre voix narratives «S.», «G.», «Leibl» et «Je», autant de figures de Soi, à la fois distinctes et confondues, condamnées à errer à travers le monde, tant celui des morts que des vivants à jamais liés, protagonistes dun théâtre dombres et de silence, en quête dincarnation.
Lorsque Aharon Appelfeld, en tant que préfacier, évoque ses rencontres avec Leïb Rochman, de 14 ans son aîné, il dit avoir été impressionné par lintensité de son silence, fidèle aux valeurs de ses origines, et en même temps par son immense liberté desprit qualifiée danarchiste. Pour lui, Aharon, qui a renoncé à son yiddish familial approximatif (maskilique) en tentant de sassimiler en Israël aux normes de sa nouvelle patrie, la pureté de la langue parlée et écrite de son ami reflète un modèle de pensée, de spiritualité et de survivance de la culture : «Le yiddish nétait pas seulement une langue, cétait un territoire, le continent juif-polonais» (p.10). Cette langue et ce territoire, que du fonds dune irremplaçable intimité la traductrice fait revivre jusque dans son rythme et ses sonorités, entraînant le lecteur, quil soit yiddishophone ou non, dans un univers dune hypnotisante beauté.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 27/01/2014 ) Imprimer | | |
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