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Poches -> Littérature |
| Trezza Azzopardi La cachette 10/18 - Domaine étranger 2003 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 298 pages ISBN : 2-264-03503-X FORMAT : 11x18 cm
The Hiding place (2000), traduit de l'anglais par Edith Soonckindt.
Paru en France une première fois en 2001 (Plon). Imprimer
Les filles de Frankie Gauci nont pas la vie facile. Cette famille dimmigrés maltais, échouée dans les suburbs insalubres de Cardiff, coule une existence plutôt misérable. Le père, faible et flambeur, dilapide les maigres revenus familiaux en magouilles et coups de poker perdants : «La passion de mon père, cest le Hasard» (p.16). Il finit par fuir. La mère, adultérine, absente et finalement folle, ne joue pas son rôle : la narratrice, Dolores, en paie les conséquences ; piégée dans un incendie domestique par la négligence de Mary, la mère, elle y survit mais estropiée, la peau caramélisée et un affreux moignon en guise de main gauche. Elle devient alors létrangère de la famille, le petit monstre quon singe, la pelée, la galeuse.
Ses surs ne la ménagent pas. Elles ont aussi leurs problèmes : Fran, battue par le père, est une pyromane finalement ostracisée. Celesta sert de monnaie de change avec lun des notables de la zone, qui lépouse et donne son nom et son importance à la famille. Dolores naime pas ses surs mais cherche leur tendresse. Les absentes échappent à ce tableau funeste : Fran, internée, et Marina, tôt disparue, sur qui lauteur, se les remémorant, peut venir broder ses idéaux et un peu de réconfort.
La Cachette serait un roman noir, à la limite du supportable, sil nétait aussi un essai sur la mémoire. Quest-ce que se souvenir ? En dépiautant sa vie, lauteur nous lexplique. Elle inspecte son passé de bambin et de petite fille, ces moments durs, entre lincendie et limplosion de la famille, quand, le père ayant fui, les filles sont placées dans dautres foyers. Les trois quarts du roman sattardent sur cette période, avec une précision radioscopique, une froideur chirurgicale. On est surpris par cette distance : la narrateur, ayant vécu ces instants, les décrit pourtant avec un retrait et une omniscience déroutants : "focalisation zéro" diront les profs de lettres
d'un zéro qui glace.
Dolores met en scène ses souvenirs : un détail pour étincelle permet la reconstruction patiente de la scène et du drame. Dans ce flou où surgit un objet, un son, le décor se recrée peu à peu, prend du volume, devient plus visible. Lauteur décrit ce processus quand dautres nen donnent que le résultat. Le roman est comme une autobiographie en écriture automatique. On y ressent la soif, ce besoin presque pathologique du souvenir, comme une quête. Ouvrant un tiroir, Dolores écrit : «Il y a là un souvenir mais je ne parviens pas à le saisir. Un brin de paille pâle se casse entre mes doigts» (p.224).
Mais se souvenir, malgré les détails et leffort, cest aussi céder à lillusion rétrospective, voire à loubli. «Et ma mémoire en qui je ne peux avoir confiance, qui est mon seul bien et saccroche à moi comme de la boue» (p.246). Le dernier quart du roman se passe aujourdhui et raconte les retrouvailles des surs autour de la tombe maternelle. Des révélations dures y sont faites. Où lon comprend aussi que la famille nest pas toujours cet atome social ; parfois, il casse, se divise au point que les particules qui sen dégagent finissent par ne plus se ressembler, sans communication possible. Ce en quoi ce premier roman de Trezza Azzopardi nest pas facile. Cest aussi sa force.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 03/09/2003 ) Imprimer | | |
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