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Poches -> Littérature |
| Don DeLillo Joueurs Le Livre de Poche 2003 / 5.50 € - 36.03 ffr. / 220 pages ISBN : 2-253-15579-9 FORMAT : 11 x 18 cm
Traduit de l'américain par Marianne Véron Imprimer
Curieuse expérience que de lire Joueurs de Don DeLillo. Ce roman, publié en 1977, dont les pages contiennent notamment lincroyable prémonition des attentats du 11 septembre sur le World Trade Center, ressemble fort dans sa fabrication ramassis de substances brutes, débris, fragments de vie au mécanisme interne dune bombe sur le point dexploser. Agitation et bruit de Wall Street envahissant tout lespace vital, indétermination pathologique des personnages, absence dintrigue tangible
Ce livre a sérieusement de quoi laisser perplexe le lecteur non averti. Don DeLillo est déjà lauteur dune trentaine de romans depuis 1971. Considéré par la critique comme lun des écrivains majeurs de lavant-garde américaine, il a pris le parti dexploiter dans ses écrits les dérives de la société de consommation et de communication, et ses effets pervers sur lindividu. Joueurs ny fait pas exception.
Dans la foule des arpenteurs quotidiens du quartier de Wall Street, prisonniers dun univers urbain ahurissant, on y voit débusqués des personnages sans éclat, qui sactivent, dialoguent et sinterrogent, terriblement conscients de leur condition humaine dêtres interchangeables. Peu dauteurs ont su comme DeLillo traduire un tel sentiment dagoraphobie contrôlée. Quils le supportent ou pas, ses personnages appartiennent à la foule mêmes existences, mêmes masques, mêmes impressions. Hors delle, leur semi-autonomie se révèle angoissante. Lyle, courtier au charme distant, Pammy, employée, comme Ethan et Jack, de la société Grief Management Council dont le commerce est lexploitation de la douleur morale des gens , tous sont profondément désabusés. Le trop-plein dinformations les maintient dans un état dhébétude continuelle où rien ne semble pouvoir les émouvoir. Même lorsquils se connaissent et vivent ensemble, ils ne font en réalité que se croiser et, coup de feu ou orgasme, limpact se répercute pareillement sur eux, sans émoi apparent.
Dailleurs, les personnages luttent eux-mêmes contre lémotion, ce sentiment pour lequel ils se sentent devenus «trop complexes». Ils usent pour cela de techniques plus ou moins bien assimilées. Pammy baille par exemple, et parfois il lui arrive de ne pas sassocier à son corps. Lyle également dissocie souvent ses pensées de ses actions. Lun comme lautre sont submergés de manies et de tics qui leur donnent bonne contenance. Sont-ils des joueurs ? Oui, en ce sens quils endosseraient nimporte quel rôle pour distraire différemment leur ennui. Pour peu que le scénario en vaille la chandelle, lesthétique faisant référence, ils seront donc daccord pour jouer avec le feu, et Lyle se laissera sans sourciller aller à flirter avec le terrorisme et à prendre la place du mort
Les personnages de DeLillo sont finalement terriblement en mal dêtre. Dérisoires ou dangereux, leurs jeux sont une véritable question de survie, puisquils leur permettent, sinon de ne pas sombrer dans le mutisme, du moins de créer lattention. En cela, lécrivain dévoile aussi son propre jeu, lui qui, pour maintenir provisoirement en vie des êtres si tragiquement privés denvergure, va jusquà leur prêter de ses propres artifices. Et effectivement, si Lyle et Pammy sont des héros «si complexes» cest bien parce quils sont imaginaires. «Malgré la fascination de la caméra pour lextravagant massacre de ces hommes inutiles, la scène devient confuse, à cause du piano mélodramatique.» Lindication était pourtant donnée dès le premier chapitre : grande attention requise pour le jeu de la mise en scène sans lequel rien ne subsiste.
Pauline Lecuit ( Mis en ligne le 07/01/2004 ) Imprimer | | |
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