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Méfiez-vous des petites vies tranquilles...
Georges Simenon   L'Horloger d’Everton
L.G.F - Le Livre de poche 2000 /  4.58 € - 30 ffr. / 191 pages
ISBN : 2-253-14284-0
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Pour le lecteur moyen, qui dit Simenon dit Maigret -et, peut-être, un titre ou deux entendus au détour d’une conversation, comme la Vérité sur Bébé Donge ou les Inconnus dans la maison. Le Livre de Poche réédite aujourd’hui un roman moins connu, l’Horloger d’Everton, écrit par Simenon en 1954, lors d’un séjour aux états-Unis.

L’action se déroule outre-Atlantique dans la petite ville tranquille d’Everton. Dave Galloway, horloger de son état, mène une vie précise où chaque jour ressemble aux autres, où trois rues seulement constituent son univers habituel, calme et feutré. Galloway vit avec son fils de seize ans, Ben, qu’il intègre à cet univers. Mais voilà que Ben s’en détache violemment, quittant la maison paternelle en emmenant avec lui une jeune fille de quinze ans, Lillian Hawkins. Leur fugue meurtrière, leur passion tranquille, sont racontées sans état d’âme, comme passées au crible du regard froid des journalistes, du regard blasé de la police -et du regard d’un père qui, au fil des pages, va peu à peu se ressaisir et comprendre.

Pour Dave Galloway comme pour le lecteur, l’Horloger d’Everton mène de l’acte brut à l’acceptation des faits, par le biais de souvenirs qui jaillissent peu à peu. Et si l’on a tendance à reprocher au père l’éducation étroite et silencieuse qu’il a donnée à son fils, l’auteur nous rappelle sans cesse à l’ordre : là n’est pas la question. Bien plus profondément, les personnages représentent l’humanité "moyenne", cette humanité que Simenon a si bien su évoquer dans tous ses livres, pleine de désirs refoulés, qui ne sont exprimés au grand jour que dans les romans : "un personnage de roman", a dit Simenon, "c’est n’importe qui dans la rue, mais qui va jusqu’au bout de lui-même".

Ainsi, l’Horloger d’Everton est-il le roman de ce petit horloger et de son fils, auxquels l’écriture va donner le champ libre. Grâce à la révolte du fils, le père va rentrer en lui-même, retrouver son identité propre, qui semblait s’évaporer dans les brumes du quotidien. Le parcours de Ben et de Lillian a valeur initiatique aussi bien pour les deux jeunes amants que pour Dave Galloway, confronté à l’angoisse, à l’agression des journalistes, au silence de son fils.

Pour le lecteur, les faits restent toutefois un peu extérieurs, presque incompréhensibles. Mais c’est cette différence, cette étrangeté, qui donnent à l’oeuvre son aspect véritablement poétique ; le lecteur ne possède pas les personnages, ils évoluent bien loin de lui, faisant jaillir à ses yeux, de milieux tout à fait familiers et communs, une étrangeté vivante, active, insaisissable.

L’écriture limpide de Simenon ne laisse pas place au doute ou à l’ambiguïté. Il ne s’agit pas de s’interroger sur le pourquoi et le comment, mais de regarder des gens vivre. L’auteur sait parfaitement créer un milieu intime, un monde sans couleurs, en noir et blanc. La percée de la révolte conduit en définitive à une sérénité retrouvée, signe que le personnage principal (impossible ici de parler de héros) a reconquis son intimité personnelle, qui intègre cependant une connaissance bien plus profonde de l’être à côté de qui il vivait depuis seize ans. Non, Ben n’est pas coupable, Ben n’est pas un meurtrier; comme tous les soi-disant coupables, selon Simenon, il était simplement mal armé pour la vie.

A l’instar de Bébé Donge, Ben ne renie pas son acte, et, de ce fait, il se livre à la justice pieds et poings liés ; comme Bébé Donge, il pose son identité, veut assumer pleinement son acte, comme moyen de s’intégrer pleinement dans la société -dans sa société. Il s’agit d’une affirmation de soi. Dave, comme François Donge, va se rendre compte que s’il a vécu avec Ben, il a oublié de l’apprivoiser, oublié de le connaître : "Plus tard, il arriverait bien, petit à petit, sans essayer d’aller trop vite, à faire comprendre à Ben qu’ils ne formaient qu’un. Ne lui avait-il pas fallu des années, à lui, pour le découvrir" ?

Enfin, l’Horloger d’Everton est caractéristique de l’univers simenonien en ce qu’il nous présente des figures féminines trop ou trop peu présentes, plutôt destructrices, images négatives -sauf peut-être Lillian Hawkins, mais c’est une femme-enfant, elle sort de l’ordinaire. De plus, elle n’a pour fonction que de servir de tremplin à l’affirmation de Ben. L’univers des Galloway est un univers d’hommes, hommes en révolte qui finissent par gagner la partie, jusqu’à envahir les derniers moments du livre. C’est cet univers qui continue de grandir une fois le roman parcouru, cet univers qui renferme ce mystérieux secret, "le secret des hommes". Un secret que Ben était parti chercher du haut de ses seize ans au volant de la voiture volée à son père.

L’Horloger d’Everton n’est un ouvrage ni optimiste ni pessimiste, c’est le récit simple, concret, de moments qui bouleversent la vie d’un homme du peuple, que rien ne distingue des autres, mais qui se distingue d’eux par tout ce qu’il comprend -de la vie, de son fils-, par cette "petite flamme secrète" dans le regard "pour ceux qui savaient voir". Dave Galloway apprend à être l’auteur véritable de sa propre vie, comme l’écrivain Simenon devient l’auteur de la vie des autres et de tout un chacun, parce qu’il sait si bien déceler cette petite flamme qui distingue dans la grisaille des jours habituels tel homme de tel autre. Il ne faut rien de plus pour faire un bon roman (dixit Simenon).

Et si vous avez la chance de pouvoir vous procurer la vidéocassette du film de Tavernier inspiré du livre, l’Horloger de Saint-Paul, profitez-en, c’est un petit chef-d’oeuvre.


Constance Desormeaux
( Mis en ligne le 22/01/2001 )
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