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Poches -> Littérature |
| Carlos Liscano La Route d'Ithaque 10/18 - Domaine étranger 2006 / 7.80 € - 51.09 ffr. / 317 pages ISBN : 2-264-04350-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication française en février 2005 (Belfond). Imprimer
Uruguayen, peu connu en France, où lon commence juste à traduire son uvre, Carlos Liscano est un des grands auteurs sud-américains de sa génération. Né en 1949, il a été emprisonné et torturé pendant la dictature, et sest exilé en Suède. Depuis 1996, il a regagné son pays et vit entre Montevideo et Barcelone.
La Route dIthaque, publié en 1994, est le premier de ses romans à être traduit en français. Cest, dans une langue sobre et tendue, le récit à la première personne dune errance et dune désespérance. Le héros, Vladimir (prénom éloquent témoignant des choix politiques de ses parents), jeune uruguayen, dune famille aisée, brisée par le régime militaire, sest voulu vacciné de la politique. Son ressentiment en se remémorant cette enfance gâchée par labsence de parents pourchassés, emprisonnés, va dailleurs plus à ces derniers qui lui ont préféré lidéologie, quau régime. Abandonnant ses études de médecine, de sombres histoires de drogue lont jeté sur les routes de lexil.
On le suit alors en Suède, puis en Espagne, partageant le destin des déshérités de la riche Europe, nés trop tard, dans un monde trop vieux. Peu de chaleur dans cette humanité mêlée qui ne songe quà survivre : monde des «métèques» à Stockholm, au milieu des plus pauvres ; pauvreté qui ninterdit pas, au contraire, la hiérarchie sociale et nationaliste : des gens de lEst, des Polonais débrouillards, aux Latino-américains politisés, ceux dont on ne veut plus, qui ont pu fuir, se retrouvent à Rinkeby, rendez-vous des exilés. Grâce à sa compagne suédoise qui attend un enfant de lui, le héros entre dans une précaire reconnaissance symbolisée par le permis de séjour, une vie quasi familiale, un petit emploi dans un hôpital psychiatrique, où il soccupe de vieillards séniles. Parmi les multiples obstacles quil rencontre, celui de la langue est le pire, qui le condamne à lisolement, comparable à celui des pensionnaires de lhôpital, isolement quil choisit et refuse tout à la fois. La vieillesse étant une autre forme de claustration tout aussi impitoyable, retrait du monde des vivants, abandon du corps.
Lillusion de mieux vivre dans un pays dont il connaîtrait la langue le pousse vers lEspagne, où la situation va être pire encore, les mêmes scènes sy répétant, identiques et différentes, grandies par la tragédie qui saffirme : «Jy serais arrivé un jour, au Pays de Ceux Qui Ont coulé, au centre de la planète, peuplé de tous ceux qui au cours des siècles sont restés en marge de la Grande Comédie». Ithaque à la fin du XX siècle nest plus lîle paisible où une épouse patiente et un fils aimant attendent le guerrier pour lui offrir le repos mérité ; cest une lente descente solitaire, de ghettos organisés en zones marginales, vers la détresse, labsolu dénuement, la perte de la raison.
Il y a comme une quête mystique dans cette déchéance qui simpose à Vladimir et qui nétait programmée nulle part, sinon dans sa volonté de refuser progressivement toute communication, dans sa conviction que la société ne peut rien pour lindividu, si ce nest le détruire... Ulysse ascétique, Vladimir luruguayen trouve son destin dans la Barcelone déjantée, riche, cruelle aux petits, des Jeux olympiques. Pas de pitié pour les faibles
mais en revanche lorgueil du choix le plus improbable, celui, constant, du pire, de la descente vers labîme. Un beau texte, poignant, sans concessions, qui donne envie de voir offert au public français le reste de luvre de Carlos Liscano.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 15/11/2006 ) Imprimer
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