L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Poches  ->  
Littérature
Essais & documents
Histoire
Policier & suspense
Science-fiction

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Poches  ->  Littérature  
 

Johnny and Clyde
Marc Dugain   La Malédiction d'Edgar
Gallimard - Folio 2006 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 499 pages
ISBN : 2-07-033967-X
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en mars 2005 (Gallimard - Blanche).
Imprimer

Johnny and Clyde. Tel fut, dit-on, le surnom donné par l'écrivain Truman Capote, lui-même homosexuel, au "couple" formé pendant plus de quarante ans par Edgar J. Hoover, patron du FBI et son directeur adjoint Clyde Tolson. Tandem insubmersible, les deux hommes ont piloté ensemble et jusqu'à la mort du premier en 1972, le fameux service de sécurité intérieure des Etats-Unis. A cette place, ils sont devenus des observateurs avisés mais aussi les acteurs influents de près d'un demi-siècle de vie politique américaine. Clyde Tolson, dont Hoover disait qu'il était son alter ego et qu'il pouvait lire dans ses pensées, avait, rapporte-t-on, un esprit aiguisé et surpassait son patron en intelligence. Des qualités hélas ternies, selon ses détracteurs, par une soumission presque totale au pouvoir de celui-ci. Amants ou pas ? L'histoire officielle n'a pas tranché. Marc Dugain, l'auteur de la très primée Chambre des officiers, a choisi de donner la parole à ce personnage méconnu. La Malédiction d'Edgar est la confession imaginaire de Clyde Tolson, le point de vue romancé d'un homme de l'ombre sur une période mouvementée de la plus grande démocratie du monde. Laquelle, disons-le franchement, n'honore guère son titre au fil des pages.

Quoique les styles diffèrent grandement, on ne peut s'empêcher de rapprocher le livre de la fresque décapante entreprise par James Ellroy dans sa dernière trilogie. Mais tandis que ce dernier attaque "son" mythe américain au vitriol et met l'Histoire à nu sans rémission, Marc Dugain opte, à travers la confession - ce rassemblement inventé des souvenirs -, pour une approche moins électrique, plus feutrée mais très efficace. Et si son propos n'est pas de défendre un point de vue historique, il conduit le lecteur à une conclusion tout aussi édifiante que chez Ellroy : la politique américaine, particulièrement sous l'ère Kennedy, est un vaste remugle nauséabond où se mêlent corruption, coups tordus, intérêts personnels, grand banditisme et arbitraire. Le mythique JFK soi-même prend - à nouveau - un sérieux coup dans le portrait : faible, sinon lâche, inconséquent, complice de la Mafia, dépravé sexuel au dernier degré. Et plus grave : incompétent. Les qualificatifs ne manquent pas pour ses détracteurs. Un point de vue que résume sobrement Clyde Tolson sous la plume de Marc Dugain, évoquant les enjeux autour de son assassinat : "il ne fallait pas que Kennedy soit réélu en 64, c'était une évidence pour tous les hommes de bonne volonté qui ne voulaient pas assister au naufrage de la première puissance économique et militaire du monde". Rien que ça. Ellroy n'est effectivement pas loin. Si l'on veut bien se donner la peine de tourner les premières pages d'American Tabloïd, la préface musclée nous rappelle : "La véritable trinité de Camelot était : de la Gueule, de la Poigne et de la Fesse […] Jack [JFK] s'est fait dessouder au moment optimal pour lui assurer sa sainteté. Il avait du bagout, il dégoisait des conneries et arborait une coup de cheveux classe internationale."

L'intérêt du livre réside dans l'habilité qu'a eue Marc Dugain à fabriquer un roman captivant à partir des éléments historiques, à construire dans leurs pleins et leurs creux, une vision crédible et vivante, en un mot passionnante, de l'Amérique. Et plus on avance dans le roman, plus on repense à son titre, en se demandant de quelle malédiction est donc frappé ce Hoover qui peut s'enorgueillir d'avoir résisté aussi longtemps aux aléas de la vie, de cet homme qui, dans une fonction essentielle et sensible, a "servi sous huit Présidents des Etats-Unis et dix-huit ministres de la Justice" ? La réponse est apportée vers la fin du livre : c'est une bien petite malédiction en vérité, mais dont le pouvoir de tourment aurait servi de carburant à sa détermination, expliquerait sa longévité dans la fonction, et même une certaine rage intérieure : son homosexualité. Sa relation avec Clyde Tolson. Amours secrètes et peu avouables dans une Amérique au paroxysme de son puritanisme, et pourtant tellement bénignes au regard des turpitudes grand format - sexuelles, mafieuses ou politiques - d'un John Kennedy. Amours inacceptables lorsqu'on est soi-même partie prenante de ce courant conservateur, anti-communiste et bien pensant. Car - et ce n'est pas le moindre des mérites du livre - si le lecteur se prend inconsciemment de sympathie pour les "amants terribles" du FBI, il n'oublie pas combien leurs vues politiques étaient conservatrices - Hoover inaugura le maccarthysme - et leur propre bienveillance avec la pègre tout aussi sujette à caution que la collusion maladroite des Kennedy avec elle.

Avec des livres de cette qualité, où les épisodes de la grande Histoire se marient subtilement avec les anecdotes de la petite, l'Histoire politique romancée a de beaux jours devant elle. Et par les temps qui courent, les sujets d'inspiration ne manquent pas.


François Gandon
( Mis en ligne le 08/09/2006 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd