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Poches -> Littérature |
| Henriette Jelinek Le Destin de Iouri Voronine Le Livre de Poche 2007 / 6 € - 39.3 ffr. / 220 pages ISBN : 2-253-11818-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en août 2005 (Bernard de Fallois). Imprimer
Henriette Jelinek poursuit depuis 1962 (La Vache multicolore, Gallimard), une uvre discrète, dautant que, depuis 1976, elle vit aux Etats-Unis, loin du milieu parisien. Sans aucun rapport avec sa célèbre homonyme Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature, ses récits sont plutôt paisibles.
Son dernier roman, Le Destin de Iouri Voronine, est une méditation sur la communication et les rencontres impossibles. Le prétexte en est lhistoire de Iouri Voronine, humble émigrant russe venu aux Etats-Unis avec son épouse, dont le prénom, Svietlana, signifie clarté, pour une vie quils espéraient meilleure. Installés à Chicago, ils ne feront en fait que lapprentissage de la dépossession : dépossession de leur langue, de leurs noms (Svietlana devient Genia, plus aisé à prononcer), perte de leur fils, qui refuse son prénom : Miroslav (cest à dire Paix glorieuse) et se rebaptise Joe Carson Lincoln. A lopposé de ses parents, Joe refuse la misère pour devenir lun des nouveaux riches flamboyants que construit le rêve américain. Loin deux, de leur idéal modeste, il refuse la nostalgie de lisba, au profit dune somptueuse villa californienne. Demeurés pauvres, jardinier et blanchisseuse, acceptant avec fatalisme leur situation, Genia et Iouri vieillissent doucement, sans nouvelles de leur fils, absent à lenterrement de sa mère. Cest au lendemain de celui-ci que commence le récit mené par Iouri : Joe vient chercher son père, décidé à laméricaniser définitivement et à le fixer dans son statut de père de milliardaire. En somme, il couronne sa réussite en se rachetant un père, quil va sefforcer de remodeler en harmonisation avec sa réussite matérielle. Le premier stade, là encore, est le changement didentité au profit dun nom bien américain : Erl Carson Lincoln.
Iouri applique toute sa volonté à refuser cette dépendance dorée et à noter les dures réalités sous le brillant des apparences : communication impossible entre Joe et son épouse, la belle Mary, entre Mary et son beau-père, entre les maîtres et les domestiques, à lintérieur du monde des serviteurs, et surtout, plus que tout, entre le père et le fils. Univers que le narrateur perçoit comme faux, prison implacable, et dont il rêve de séchapper. En même temps, la richesse est opposée à une pauvreté sublimée, dans laquelle Joe se sent de plein pied avec la domestique noire, Kitty, le chauffeur de taxi Harry et son ami marginal au nom symbolique : John Ford.
Tout le roman se situe dans cette lutte sans merci entre deux approches de la vie et de la société. Lopposition entre Amérique et Russie permet de donner une perspective plus ample, et le narrateur, de retour sur la côte Est, trouvera la paix en se réfugiant dans un monastère orthodoxe. Mais même dans ce lieu de paix, la communication demeure impossible, et lincompréhension entre les êtres demeure la règle, le seul refuge possible est dans le silence, silence de la prière, silence de la mort. Cest donc à entendre une fable contemporaine quHenriette Jelinek nous convie, fable, qui au-delà déventuelles comparaisons entre deux univers, nous incite à réfléchir à une question que lOccident ne cesse de se poser : à quoi sert de conquérir lunivers si lon en vient à perdre son âme ?
Le propos est volontairement traité de façon naïve, à la façon dun recueil dimages dEpinal. LAmérique nest que richesse matérielle donc monde des apparences, face à une Russie pauvre sans doute, mais riche de spiritualité. Cette naïveté est sans doute l'un des charmes de ce court roman, cen est aussi la limite essentielle
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 30/03/2007 ) Imprimer | | |
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