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Poches -> Littérature |
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Il y a nostalgie et nostalgie… | | | Gilles Lapouge Le Bois des amoureux Le Livre de Poche 2008 / 6.95 € - 45.52 ffr. / 374 pages ISBN : 978-2-253-12102-2 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en août 2006 (Albin Michel). Imprimer
En introduction de son recueil En étrange pays, publié en 2003, Gilles Lapouge précisait la tonalité nostalgique de certains de ses textes. «Ma défense est quil y a nostalgie et nostalgie. La mienne est de douce fabrique et de peu damertume.» De Fernand Braudel il a appris «quon avait le droit de découper le temps historique en courtes durées, en moyennes durées ou en longues durées. Je tâche dappliquer cette trouvaille à la nostalgie. A partir de maintenant, je privilégie les nostalgies de «longues durées»».
De quoi est-il question dans Le Bois des amoureux ? Le narrateur est un homme qui revient sur ses souvenirs denfance. Dans les Basses Alpes, rebaptisées plus tard les Alpes de Haute-Provence, une propriété familiale fut le décor de ses vacances, hiver comme été. Y vivait à demeure son grand-père, M. Judrin, fantasque et lointain, ancien professeur de grec, quil avait semble-t-il oublié, et de latin dont il était toujours amoureux. Un grand-oncle, appelé par tous parrain Elie, ne quittait jamais sa chambre. Non loin, deux maisons étaient habitées par deux ennemis de toujours. Dans le village, le curé Portes reprenait régulièrement les mêmes homélies, que chacun acceptait de ne pas reconnaître. Le notaire Fasbellon, comme le facteur Vieux Thomas, le bedeau Tartensonne ou encore le maire Terembron se retrouvaient régulièrement à la Lurette, pour une partie de manille, et prenaient des verres au Jus de la Treille. Jusquau jour où un soldat, Julien, arrive. Et ça parle, et ça jase, dans ces années 1920-1930
Et ce dautant plus que ce Julien, qui devient cantonnier presque à la demande générale, nest pas banal. Il en raconte des histoires et des sottises, tout en aménageant des chemins qui vont de nulle part à nulle part.
Tous ces éléments pourraient servir joliment le récit pittoresque dune douce enfance, dune douce France aujourdhui disparue, dune nostalgie. Mais Gilles Lapouge nous a déjà prévenu : «il y a nostalgie et nostalgie». Et cest dans une langue sublime que lauteur nous livre ce récit frappé au coin de la longue durée. Les montagnes, les chemins, les arbres, les personnages singuliers sont généreusement chargés dune histoire et dune géographie qui, dit-on, ont fait la France. Tous deviennent les supports dinterrogations aussi furtives que la vie elle-même, aussi provocatrices que les guerres qui se succèdent, aussi drôles que les facéties du grand-père M. Jurdin et du cantonnier Julien qui se demandent sil ne serait pas possible, quant on fait une guerre, de faire, en même temps, celle qui a précédé et celle qui suivra.
Un peu à la manière de Giono, Gilles Lapouge fait parler et répond discrètement à notre archaïque besoin dhistoires. Et lhistoire quil nous raconte est aussi pleine dhumanisme et dérudition quen pâtisserie un Bourdon est plein de pommes. Gilles Lapouge ne nous explique pas ce quest ou ce qua pu être la vie. Il nous dit plus simplement ce que la vie na jamais cessé dêtre : un endroit où des hommes peuvent toujours se demander comment construire des sentiers à lenvers, sil nest pas préférable de ne jamais annoncer la mort de quelquun ou comment organiser des batailles où les armées ennemies disposeraient de cartes différentes de sorte quelles glisseraient lune sur lautre, «sans se voir, sans se frotter, sans se heurter».
Écrivain subtil et érudit, Gilles Lapouge présente aussi une qualité qui se fait rare : lamour du récit. Il y a un souffle dans ce grand roman qui, comme le vent dont un des personnages se demande sil continuera à souffler quand nous aurons tous disparus, risque de souffler encore longtemps dans lesprit du lecteur. Le Bois des amoureux est un magnifique roman.
Guy Dreux ( Mis en ligne le 26/11/2008 ) Imprimer | | |
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