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Poches -> Littérature |
| Franck Médioni Albert Cohen Gallimard - Folio biographies 2007 / 6.60 € - 43.23 ffr. / 331 pages ISBN : 978-2-07-034841-1 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm Imprimer
A lire la biographie de Franck Médioni, une idée frappe demblée : Albert Cohen (1895-1981) a sciemment installé un esprit de contradiction permanent au cur de sa vie et de son uvre. Il a été pour lui un moteur, une manière de se distinguer, mais aussi daffirmer sans rechigner sa complexité, ses excès, son identité, sa sensibilité et son intégrité. Cest peut-être pour cela quil a une place un peu à part dans la littérature du XXe siècle, inclassable, solitaire, passionnante.
Car Cohen a toujours eu un double visage, une double activité, une double personnalité et parfois une double femme ! Fils de commerçant juif, il quitte Marseille pour Genève, pour suivre des études de droits. Très vite et grâce à lappui de certains amis, il participe au mouvement sioniste et rentre en tant que délégué à la SDN. Plus tard, et nabandonnant jamais son activité politique, il intègre lONU où il dirige une section juridique pour les réfugiés. Ces diverses activités militantes et politiques (Il rejoint De Gaulle à Londres en 1940, avec lequel il aura quelques contacts.) nont cessé de loccuper, ce qui explique en partie lécart certain qui sépare les uvres entre elles. Cohen laffirme lui-même, durant ses activités professionnelles, il cessera décrire totalement, ne trouvant parfois ni le temps ni lenvie. Et pourtant, il dira que la littérature a conduit sa vie entière. Et les sacrifices ont été nombreux, parfois même au péril de sa santé mentale.
Pourtant son uvre parcourt le siècle : En 1921, il publie un recueil de poésie, Paroles juives ; en 1930, Solal, son premier roman, rencontrera un très grand succès ; en 1933, il transpose son roman en pièce de théâtre, et cela donne Ézéchiel. En 1938, il écrit Mangeclous et il faut ensuite attendre seize ans avant quil ne publie en 1954 Le Livre de ma mère, ode et hommage à sa chère mère disparue, puis 1968 quand Belle du Seigneur finit par être accepté par Gallimard après de nombreuses coupes imposées par léditeur. Enfin, en 1969, paraissent Les Valeureux, roman qui devait faire partie intégrante de Belle du Seigneur et qui se déroule chronologiquement avant celui-ci. En 1973 et 1979, lhomme vieillissant propose deux livres de réflexions et de souvenirs avec Ô vous, frères humains, et Carnets 1978.
Dans son livre, Médioni alterne de manière assez fluide les périodes charnières de lauteur et ses activités littéraires : La rencontre avec Pagnol, les premiers relents dantisémitisme quil ressent alors quil nest quenfant, ses études de droit en Suisse, son éveil aux sens, son travail diplomatique, et sa passion pour les femmes jalonnent sa biographie prise entre création littéraire et publications. On apprend à connaître un homme exigeant qui ne cessa de travailler pour son pays et pour la littérature. Un esprit fin emporté par la fougue de lécriture juste, laction dans le domaine juridique et lascèse pour accomplir son uvre. Cohen ne semble pas avoir fréquenté assidûment ses contemporains. Il demeure dans lesprit de ses lecteurs un solitaire quelque peu acariâtre, neurasthénique, provocateur et narcissique. Les témoignages de quelques femmes dans le livre saccordent sur ces points. Cohen voulait quon laime, quon se dévoue pour lui, mais il donnait très peu en retour, occupé quil était par son travail décrivain et son immense orgueil. Myriam, sa fille, raconte : «Combien de fois je lai entendu dire : ˝Etre admiré et même rechercher les honneurs, cest en fin de compte le besoin dêtre aimé.˝»
Pourtant la vie ne la pas épargné : il perd ses deux premières femmes très tôt, toutes deux emportées par la maladie à 28 et 34 ans. Puis la dépression, les problèmes de santé permanents, une fragilité psychique et physique vont lébranler sa vie durant, rendant le quotidien souvent pénible à vivre. Médioni insiste sur lenferment de lécrivain, des jours entiers sans quitter sa chambre de travail, nacceptant aucune visite (pas même celle de sa femme), parlant à peine à ses proches, acceptant seulement quon lui porte son repas.
Cohen a donc été un écrivain à la fois extrêmement scrupuleux et dilettante, refusant lappellation décrivain mais ne vivant que pour la littérature, vivant dans une certaine austérité mais répondant aux médias qui veulent le filmer ou linterviewer, affirmant sa relative misanthropie et prônant lamour de son prochain. Sa singularité dans le monde littéraire se vérifie aussi grâce à son chef duvre incroyable, ce monument quest Belle du Seigneur qui à ce jour est lun des romans les plus vendus en France, sans compter le nombre de pays layant traduit. uvre foisonnante, véritable fresque des sentiments humains, le roman représente à lui seul ce qua été la vision esthétique de Cohen qui, rappelons-le, a toujours mis de sa vie dans ses écrits. «On nécrit toujours quun seul roman» est une idée quil aurait pu admettre.
Le livre de Médioni retrace avec précision la longue vie de lécrivain. Ses sources apportent à la fois une vision globale du génie de l'écrivain ainsi quune compréhension de luvre en y livrant quelques clefs. Il cite un certain nombre de critiques parues à lépoque sur les sorties de Solal et Belle du Seigneur. On regrette seulement trois choses. Médioni semble trop investi par son amour de Cohen et ne prend pas assez ses distances avec son sujet, notamment au début de sa biographie où il ne cesse dencenser le futur écrivain en relatant son apparente originalité. Or, bon nombre décrivains ont des révélations précoces, et se distinguent très tôt. Il ne dit rien non plus sur la formation intellectuelle de Cohen, ses lectures, ses techniques littéraires, hormis les classiques références aux grands auteurs. Enfin, en tant quécrivain sioniste, Cohen sest beaucoup investi pour la cause juive. Et Médioni ne fait que deux allusions à la Shoah sans rentrer dans le détail. Or ce gouffre historique a dû marquer un écrivain comme Cohen. On aurait préféré une étude plus approfondie sur ce point au détriment dautres moins importantes, notamment sur la fameuse robe de chambre de lécrivain !
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 16/11/2007 ) Imprimer | | |
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