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Poches -> Littérature |
| Norman Mailer Un château en forêt J'ai lu 2009 / 8,90 € - 58.3 ffr. / 666 pages ISBN : 978-2-290-01140-9 FORMAT : 11cmx18cm
Traduction de Gérard Meudal
Première publication française en octobre 2007 (Plon) Imprimer
Mailer est célèbre pour avoir touché un peu à tous les sujets forts ou scandaleux qui ont traversé le siècle dernier, et cela dune plume toujours féconde et féroce. Seconde Guerre mondiale, peine de mort, assassinat de JFK, féminisme international, modernité urbaine, faits divers sanglants, etc. Dans son dernier roman, il sattache à lenfance pour le moins perturbée du jeune Hitler en composant un roman fantasmé de ce qui échappe depuis un demi-siècle aux biographes du dictateur. Partant des lacunes concernant la vie de ses parents puis des premières années de lexistence du jeune Adolphe, Mailer dresse un portrait familial atypique des Hitler, eux-mêmes observés et influencés par un démon qui nous narre sur une vingtaine dannées cette «drôle» dhistoire.
Tout commence par la théorie de Himmler qui stipule que le père dAdolphe, Alois Hitler, se serait marié avec sa nièce, qui serait en fait sa fille, et avec laquelle il aurait eu, entre autres, le garçonnet Adolphe. Pire que le drame dêtre un enfant illégitime, Adolphe serait le fruit dune relation incestueuse où la sexualité tordue du père pèse lourd dans le destin familial. Coureur de jupons insatiable, petit fonctionnaire rustre et ambitieux, père sans éducation et violent, cest en fait Alois le véritable personnage du roman. Il est le noyau dur de la déchéance familiale, le responsable principal de la dégénérescence globale, même si Mailer prend le lecteur en otage pour lui faire éprouver une certaine compassion pour cet être primaire.
Dieter, le narrateur, est un démon-SS envoyé par le Diable pour espionner le jeune «Adi», sobriquet mignon pour nommer le gosse Hitler, et faire du garçonnet le terrible dictateur que l'on connaît, voyant en lui les signes et le caractère exceptionnel du Mal universel. Durant une quinzaine dannées, il va influencer tel ou tel personnage, incliner au mieux telle ou telle situation pour que le jeune Hitler devienne ce quil est devenu. Un monstre. La représentation assez unique de ce qui sépare un être de toute humanité. Sensuit une collection de portraits plus affreux les uns que les autres, de situations naturalistes, de psychologie sauvage, de sexualité animale que Mailer, pas toujours fin, se plaît à décrire, souvent dun ton grinçant.
Mais pour qui sintéresse au cas Hitler, rien dintéressant ne lui sera rapporté. Ce roman est avant une uvre où réalité et fiction se mêlent pour aboutir à un objet esthétique, une vision somme toute personnelle qui ne fait en rien figure de document. La prose puissante dun écrivain qui joue sur les tares du jeune Adi, des excès dAlois et de cette famille rongée par la mort des frères et surs ou par léchec de toute une généalogie, ne sert en rien lHistoire, mais apporte une réflexion mystique qui lui est personnelle, notamment sur le caractère exceptionnel du Mal, peut-être aussi pour contrecarrer de manière brutale les thèses de Hannah Arendt. Le fait que Adi soit sans arrêt sous influence démoniaque sans le savoir, et que sa famille nagisse jamais sous le libre arbitre, font que le roman na aucune incidence historique. Dailleurs, cest au lecteur, au moyen de très rares exemples concrets, dimaginer ce qui a pu porter Hitler au pouvoir des années après. Mailer avait comme projet décrire deux autres romans consacrés plus précisément aux années de jeunesse du chef nazi puis à son ascension personnelle. Ici, cest plutôt la genèse familiale qui est abordée.
Mailer garde son sens de la formule brute, de la description chirurgicale et son style imagé. Des chapitres entiers et très documentés concernant lapiculture ou encore lappétit sexuel dAlois Hitler rentrent parfaitement dans son domaine de compétence littéraire. Il touche souvent juste sur les pulsions primaires des hommes, de lhumiliation, de la violence et du sacré. Reste que le lecteur peut se perdre dans cette vision mystiquo-naturaliste de la jeunesse dHitler où le Diable a sa large part dans la construction dun homme. Mais pourquoi aller choisir un autre personnage quHitler lorsque lon veut écrire un roman sur le Mal ? Le personnage existe déjà malheureusement; aux romanciers dexploiter cette source tragique. Cest ce qua fait Norman Mailer tout juste avant de séteindre en novembre 2007 à lâge de 84 ans.
Bien sûr, on cherche dans ce roman les prémices de ce qui conduira aux camps dextermination et à la folie sanguinaire de cet homme frustré. Mailer traite à un moment lincendie dune ruche, puis insiste sur la lâcheté du jeune Hitler qui, très vite, se sent davantage meneur quacteur, plus stratège que soldat lors des jeux pratiqués en groupe dans la forêt. Mêmes éléments pour décrire la sexualité peu évidente du puceau. Mais Mailer déjoue ce type dattentes faciles pour ne donner aucune thèse et rester constant dans le traitement de son roman. En cela, cet ultime opus reste fidèle à ses obsessions.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 09/12/2009 ) Imprimer
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