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Jeux de hasard et de mort
Rawi Hage   De Niro’s Game
Gallimard - Folio 2010 /  7.70 € - 50.44 ffr. / 348 pages
ISBN : 978-2-07-040251-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en septembre 2008 (Denoël)

Traduction de Sophie Voillot

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On voudrait n'avoir jamais lu ce livre. Parce qu'il est bien trop beau pour parler de la guerre. Et la vérité, c'est que la guerre n'est presque rien dans ce roman, elle n'est que la forme prise par le hasard, la forme prise par la vie en général. À Beyrouth, la musique monte vers le ciel au même rythme que les bombes en tombent, les conduites d'eau vides chantent, les enfants jouent avec les douilles et les revendent, les immeubles éventrés sont le décor devant lequel l'existence coule et les caves abritent les premiers émois amoureux de la fureur des avions qui sillonnent le firmament nocturne. Rawi Hage nous entraîne dans les années 1980. Bassam s'y promène avec son ami, son presque frère, De Niro ; de son vrai nom Georges.

Leurs deux silhouettes dégingandées, maigres et intrépides, s'éloignent petit à petit l'une de l'autre, et pourtant le lien perdure, en dépit de toutes les trahisons, de toutes les divergences. Le goût pour l'argent, l'envie de rêver, l'alcool et la drogue, ça ne pèse pas lourd dans la tempête qui soulève la poussière, fait tonner les AK-47 et les grenades, ruisseler le sang et monter les mélopées funèbres sur leur ville, leur demi-ville, la Beyrouth chrétienne (viendra le temps de l'autre moitié). Bassam travaille sur le port et vit de quelques combines, petits trafics et arnaques discrètes, montées avec l'aide de son compère, mais entreprises désormais sans lui. Car Georges a trouvé un projet à sa mesure et ses responsabilités accrues dans la milice chrétienne font de lui un véritable soldat, aux manières de brigand mais dont la fidélité à ses chefs est au-dessus de tout soupçon et la puissance toujours croissante.

On ne peut pas s'attendre à ce que l'amour et l'amitié soient normaux dans un pays en proie au chaos le plus total. Aussi, la relation de ces deux-là tient-elle de l'explosion permanente, de la lutte autant que de l'entraide et les apparitions de la belle Rana ou de la tante Nabila ne viennent rien simplifier. La violence extrême, spontanée et quotidienne dans les faubourgs Est déchirés par des luttes intestines, bute sur une société tissée de on-dit et de réputations à sauvegarder. La vie cueillie au jour le jour, les risques assumés sans regret par une génération qui a fait sien le principe de la roulette russe, ne suffisent pas à renverser la frilosité morale, et s'accommodent au contraire d'une façon tout-à-fait baroque de l'odeur lourde d'encens des traditions qui règnent encore sur «la ville en guerre la plus calme du monde», où la religion héritée tient lieu d'identité. Un à un les cadavres tombent autour des deux jeunes gens, leurs corps sont malmenés par la guerre, sans que rien ne change vraiment. Les règles du jeu restent les mêmes, quelles que soient les alliances stratégiques et leurs évolutions éphémères.

Les parcours si différents et malgré tout indissociables de Bassam et Georges sont retracés avec une maîtrise exceptionnelle par R. Hage ; pas une fois la narration ne s'embourbe dans l'ornière du sentimentalisme, du pathétique, pourtant si menaçante dans une histoire de guerre comme celle-là ; pas une prise de position politique ne vient entacher le cours, limpide et clair, de la narration. Un style très sobre, très simple, des phrases courtes et allant à l'essentiel (et souvent l'essentiel passe par les détails ou les descriptions de paysages urbains), qui est parfois brusquement interrompu par une profusion incalculable d'images, qui surgissent, dans la tête de Bassam, imprévisibles, libres, poétiques, refuge ultime de l'enfant seul qui s'invente un ailleurs, à tel point que l'on jurerait avoir vu s'épanouir dans ces songes libanais le même clown bleu qui s'invitait trente ans plus tôt sous les yeux de Momo, dans La Vie devant soi (Emile Ajar).

Le résultat est saisissant, bouleversant. De Niro's Game est sans le moindre doute un premier roman qui donne envie de guetter avec attention l'éclosion d'un très grand talent littéraire ; histoire d'amitié, ode à la violence, à la gaîté, et chant d'une mélancolie infinie, le roman est de plus servi par une traduction visiblement soignée, par Sophie Voillot. Il est impossible de l'ignorer lorsqu'on lit des lignes comme celles-ci : «J'ai dégainé, j'ai tiré sur les collines, sur les oiseaux ; l'écho de mes coups ricochait sur la roche et me revenait par rafales en traîtres lamentations syllabiques».

Leur élégance, leur rythme, la sonorité des balles et du désespoir retranscrite avec exactitude, voilà qui permet d'espérer pour ce livre, déjà couronné par diverses récompenses canadiennes, un succès comparable en France.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 03/02/2010 )
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