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Jeu de dupes?
Julie Wolkenstein   L'Excuse
Gallimard - Folio 2010 /  6.10 € - 39.96 ffr. / 330 pages
ISBN : 978-2-07-043856-3
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en août 2008 (P.O.L.).
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Lise est de retour sur l'île Martha's Vineyard, oasis de luxe à quelques encablures de Boston ; la véranda de la villa de bord de mer des Chancellor constitue un point d'observation imprenable, d'où elle a tout loisir de plonger dans les eaux mystérieuses d'un passé doré. Son regard croise-t-il par-delà les milliers de kilomètres d'océan celui d'Eliane revenue dans la maison de vacances de Normandie pour s'y remémorer le temps des étés bourgeois insouciants dans Happy End, le précédent roman de Julie Wolkenstein (P.O.L, 2005) ? Chronologiquement cela n'est guère envisageable et pourtant, la malice avec laquelle l'auteur joue de l'intertextualité dans L'Excuse pourrait nous suggérer un dialogue supplémentaire, entre les héroïnes de ses deux derniers livres, toutes deux issues d'un milieu aisé, âgées, recueillant les échos d'un temps révolu face au spectacle des marées.

Car le présent roman se lit comme un jeu de correspondances littéraires, un feuilletage de la narration entre souvenirs, fiction, hypothèses, soigneusement mis en scène par Nick, le faux-cousin américain de la Française Lise. Celui-ci lui a laissé, post-mortem, un étrange jeu de piste qui tient en haleine tant sa très aimée parente que le lecteur. Car il lui propose une théorie à première vue folle, à la réflexion troublante et finalement fascinante et inquiétante : à l'en croire, leurs existences suivent très scrupuleusement le cours d'un roman. Non pas un texte qu'il aurait écrit lui – quoique cela s'appelle Déjà-vu -, ou réécrit – cela s'appelle L'Excuse -, mais l'une des oeuvres maîtresses de la littérature américaine, le roman de Henry James, Portrait de femme (l'auteur avait d'ailleurs déjà consacré une étude à cet écrivain en 2000).

L'idée de penser son destin suspendu à une plume extérieure, déjà tracé, a évidemment quelque chose de surnaturel et révoltant. Aussi n'est-elle prise par certains, Will par exemple, que pour une fantaisie dont les ressemblances seraient un peu forcées. Mais la dérision se fait angoisse et doute insinué au plus profond de l'âme au fur et à mesure que J. Wolkenstein déroule le fil de l'intrigue, l'imagination semble soudain cernée par des coïncidences indéniables et la fin s'approche en portant avec elle une bizarre façon de fermer toutes les boucles ouvertes par l'auteur, une fin impossible et absurde, et qui semble bien, malgré tout, être la seule sortie envisageable. On pense bien entendu à Le Mort saisit le vif de Henri Troyat, au Scriptorium de Paul Auster ou même à Thérèse Raquin d'Emile Zola, pour l'influence terrible de l'oeuvre d'art, son créateur eût-il été incapable de prévoir les conséquences de ses actes.

Mais, ici, rien de malsain, rien de mauvais. Lise n'a pas peur de ce qu'elle lit, de ce qu'elle apprend. De toutes façons, il est trop tard pour cela. Elle est simplement prise d'un vertige absolu, logique devant l'angle nouveau sous lequel tout lui apparaît. Elle est bien trop énergique, bien trop vivante encore, pour être en proie à la panique. D'ailleurs ce sont les morts - Nick, Henry James - qui se retrouvent dans la position de l'écrivain tout puissant, donc potentiellement coupable, et le scénario dans lequel les péripéties de son existence ont été fixées ne lui réserve, après tout, pas un sort entièrement négatif. Loin de là. Ancienne étudiante de classe préparatoire littéraire, elle est désormais retraitée après avoir enseigné à Berkeley (J. Wolkenstein est professeur de littérature comparée), capable de séduire des hommes plus jeunes à un âge où l'on n'en attend généralement plus tant, propriétaire d'un voilier et d'une maison, à la tête d'une coquette fortune grâce à laquelle rien ne l'empêche de se saouler au champagne ; ayant aimé, été aimée, elle n'est pas malheureuse. Bien sûr, il y a eu certains échecs, certaines douleurs dans sa vie, comme dans n'importe quelle autre. Mais elle ne se plaint pas.

La narration simple se mêle avec justesse à la trame plus expérimentale, avec cette forme de distance, de petit sourire pour soi dans le ton des phrases soulignant élégamment la note anglo-saxonne d'un ouvrage qui joue talentueusement avec les codes de différents genres : mémoires, ici croisées, roman policier – d'où le titre -, comme on le découvre dans la dernière partie, et même roman épistolaire tendance sentimental, d'une certaine façon. Le résultat est surprenant, perturbant, mais assez brillant : on referme L'Excuse sans pouvoir se défaire de l'ahurissement dans lequel les derniers paragraphes nous plongent. Avec l'envie de le relire pour vérifier si ce que l'on devine est bien possible, à quel point la conclusion logique des ultimes pages peut changer la lecture de toutes les autres...


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 25/06/2010 )
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