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| Michel Houellebecq Bernard-Henri Lévy Ennemis publics J'ai lu 2011 / 7,6 € - 49.78 ffr. / 318 pages ISBN : 978-2-290-01415-8 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en Octobre 2008 (Flammarion/Grasset) Imprimer
Ce genre de livre pose deux types de questions : lun sur la matrice dune telle entreprise et lautre sur le texte à proprement parler. Ce qui est problématique en littérature car lon doit sappuyer sur le texte, et rien que sur le texte. Mais que voulez-vous, lépoque actuelle est tellement perfide quon en vient à gloser sur ce genre de parution. On a beaucoup parlé sur les motivations de chacun à produire un tel ouvrage : auteurs, éditeurs, distributeurs, etc. Résultat, on se jette comme des bêtes sur le livre (cest ce qua priori souhaitent les éditeurs, réunis en confraternité pour loccasion !) pour avoir une réponse qui bien sûr ne sy trouve pas. Donc passons mais posons nous dautres interrogations : Est-ce un ouvrage de commande ? Pourquoi six mois de correspondance ? Ces deux éléments sont intimement liés ; dailleurs Lévy avoue en conclusion regretter la fin de leurs échanges, ce qui implique une commande préalable. Pourquoi ces deux écrivains et non deux autres ? Réponse prudente : faire un coup déclat dans le secteur littéraire, un coup dépée dans leau au final car ce microcosme est minuscule et nintéresse que les gens y participant.
Ce qui est clairement regrettable, ce sont les six mois décriture, de janvier à juillet 2008, suivis de la publication immédiate. Pourquoi navoir pas entrepris une véritable relation épistolaire sur le long terme ? Espérons que les deux hommes ne lont pas interrompue. De plus, cette uvre de commande sadresse avant tout à un lecteur potentiel plutôt quà un correspondant, comme en témoignent les phrases maladroites de Houellebecq qui pense parfois au futur lecteur plutôt quà son interlocuteur. Julien Green avait signalé la problématique lorsquil a su que son journal serait publié en plusieurs tomes. Forcément, on nécrit plus les mêmes choses lorsque lon sait quil y a publication derrière. Or, on est ici dans de la littérature de lintime, où la publication apporte un degré différent de réception. Vu la célébrité des deux intellectuels, on devine aisément ce que sera lhorizon dattente dun tel livre.
Cet échange de lettres (de courriels apparemment : lépoque est ainsi, finies les lettres manuscrites, remplacées par les messages sur Internet) permet tout dabord de sintéresser à deux visions différentes dun même monde à feu et à sang, deux esthétiques opposées, deux morales distinctes. Nous avons dun côté Michel Houellebecq (né en 1958), lécrivain dépressif qui décrit un monde capitaliste simmisçant jusque dans les rapports privés pour y semer les mêmes enjeux de concurrence, de puissance et dexclusion. De lautre, Bernard-Henri Lévy (né en 1948), chef de file de ceux quon a appelé à la fin des années 70 «Les nouveaux philosophes», humaniste de gauche, prêcheur des «grandes causes» et intellectuel engagé contre toutes les injustices.
De ces deux existences contrastées sont nés des textes forts : Les Particules élémentaires (1998), roman qui a propulsé Houellebecq, puis Plateforme (2001) ou encore La Possibilité dune île (2005). La Barbarie à visage humain (1977), LIdéologie française (1981), Éloge des intellectuels (1988) ou Qui a tué Daniel Paerl ? (2003) pour ne citer que quelques essais de B-H L. Un lien unit ces textes : les polémiques quils ont créées, les tempêtes quils ont soulevées, les critiques quils ont subies. Mais le succès leur a permis de continuer leur uvre et leur métier.
uvre et métier : les sources de beaucoup de discussions entre les deux écrivains. Entre Houellebecq le misanthrope et l'ennemi du genre humain et BHL, avec son ton professoral croyant encore en lhomme, les échanges sont clairs et courtois. Chacun défend son beefsteak avec son style, sa lucidité et cette envie de faire partager son expérience (plus que ses connaissances) à lautre. On pense un peu au maître et à lélève parfois, mais relevons que dix années séparent les deux écrivains. En fait, chacun y va de sa petite confession, de ses souvenirs denfant, qui ont déclenché peut-être les carrières que lon connaît, puis de ses théories sur les conflits internationaux, les politiques du Proche Orient, ou encore les relations internationales. Si Houellebecq déploie une vision personnelle souvent tirée de sa vision de simple être humain allant au contact de la réalité, Lévy, lui, se sert de ses lectures, des philosophes qui ont jalonné sa carrière : Pascal, Spinoza, Sartre, Levinas. Puis, ils reviennent sur leur condition décrivains martyrisés par la critique et les pressions dont ils sont les objets constants depuis dix ou vingt ans (calomnies douteuses, biographies éhontées, révélations fausses). Lévy, sur ce point, conseille à Michel de laisser faire la meute, quelle est par définition la plus faible et la plus à plaindre et cela en quelques pages foudroyantes qui ne manquent pas de régler leurs comptes aux journalistes peu scrupuleux dont les noms sont maintes fois cités.
Quapprend-on à la lecture de cet entretien préfabriqué ? Sil y a de belles pages sur Céline (que Houellebecq le schopenhauérien assassine au passage, ce qui est rare tant ce dernier fait lunanimité chez les écrivains), Gary, Malraux, Aragon ou encore Baudelaire, référence permanente des deux écrivains, on regrette que les deux intellectuels sintéressent si peu à luvre de lautre. On nous parle de ce moment cosmique où lécriture transporte le corps («On ne peut pas faire lamour toute la journée», scande BHL), mais les deux trublions de notre monde littéraire abordent trop peu les romans ou les essais de leur correspondant. Lactualité vient sen mêler lorsque la mère de Michel publie un témoignage sur son fils ou encore lorsque ce même Michel réalise ladaptation de son roman La Possibilité dune île, avec léchec commercial que lon sait.
Restent deux auteurs symptomatiques de leur époque, dont la correction et la bonne éducation empêchent peut-être le rapport de force ! Au final, ils semblent daccord sur bon nombre de points alors que tout devrait les séparer. Cest cela aussi qui sépare les idées des personnes qui les expriment : une amitié qui se construit malgré les différences. Mention spéciale à Bernard-Henri Lévy qui, dans des pages moins lyriques quil ny parait, propose une vision assez juste de ce quest un intellectuel en 2008 : on a là, finalement, le nud de la question, et celui de cette uvre de commande, ces e-mails un peu curieux de 2008. Ce livre reste au moins une bonne introduction à luvre des deux compères, quil faut à présent (re)lire afin de vérifier leurs dires.
Henri-Georges Maignan ( Mis en ligne le 20/04/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Possibilité d'une île de Michel Houellebecq Qui a tué Daniel Pearl ? de Bernard-Henri Lévy Plateforme de Michel Houellebecq | | |
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