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| Simone Weil La Condition ouvrière Folio - essais 2002 / 6.40 € - 41.92 ffr. / 522 pages ISBN : 2070423956 Imprimer
Dans une très belle lettre adressée à Georges Bernanos, Simone Weil (1909 1943), pour expliquer son départ pour lEspagne des Républicains en guerre contre Franco, disait sa répugnance à rester «à larrière». On gardera à lesprit cette idée dans un effort de compréhension de ce qui a poussé la jeune agrégée sortie de lécole normale, à prendre une «année sabbatique» (1934-1935) pour entrer à lusine : sa réflexion sur la misère sociale, elle ne pouvait la mener « à larrière », à savoir depuis une bibliothèque ou un parti. Simone Weil a longtemps désiré cette expérience de la vie des prolétaires, du travail à la chaîne. Cela peut faire sourire, rappeler quelques clichés de lépoque où les intellectuels ne voulaient pas «désespérer Billancourt». Ce serait pourtant faire un mauvais procès à Simone Weil, que de taxer sa démarche desthétisme révolutionnaire.
Cet ouvrage est constitué de lettres dont Simone Weil navait pas prévu la publication ; laquelle sera posthume, en 1951. Elles sont nombreuses, lettres à des proches, à qui elle dit sa fatigue, et vite son épuisement à cause de la cadence infernale du travail. Et puis, surtout, en raison de labrutissement dun labeur souvent sans intérêt, fruit de la division du travail, du morcellement des tâches. Ces lettres, ces dizaines de pages souvent méticuleuses et rébarbatives, témoignent de la Condition ouvrière, sur un mode presque notarial ou comptable: description des machines, du nombre et de la forme des pièces à réaliser chaque jour et puis bien souvent, des amendes pour en avoir raté un certain nombre. Elle décrit également ses camarades dinfortune, leurs qualités, leurs vies, etc. cependant sans jamais succomber à lindécente «angélisation» du prolétariat.
Dautres lettres sont adressées à des entrepreneurs et ingénieurs, ou encore à des responsables syndicalistes (souvent révolutionnaires). Aux premiers elle explique la nécessité de concilier humanisme et rationalisation du travail. Aux autres, elle sévertue à rappeler que lexpérience dément souvent la théorie, et notamment celle des marxistes quelle brocarde en les appelant les «grrands bolcheviks». Toutefois, sa présence dans une chaîne de montage nest pas simplement une expérience existentielle ou spirituelle, elle a pour objectif de comprendre les raisons de loppression sociale. Dans ce sens, cette Condition ouvrière est complémentaire à sa Réflexion sur les causes de la liberté et de loppression sociale, critique virulente du marxisme et interrogation sur lépuisement paradoxal selon elle, de lesprit révolutionnaire du peuple français.
«La machine cest le diable» : Weil pourrait faire sienne cette expression dAndré Malraux, tant elle résume en un saisissant raccourci le déracinement, la désincarnation concomitants au travail «taylorisé» - et que Simone Weil a toujours cherché à contrer, à critiquer et à réfuter. On ne pourra, en définitive, quêtre confondu par un tel modèle de conscience, au moment même de la grande «trahison des clercs», lintelligentsia occidentale succombant à la fascination du pouvoir au nom du prolétariat. Lexpérience de Weil est, quant à elle, comparable à celle dun Orwell foulant les pavés du Quai de Wigan Pier à la même époque : lumineuse.
Vianney Delourme ( Mis en ligne le 07/01/2003 ) Imprimer | | |
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