|
Poches -> Essais & documents |
| |
L’inquiétude contre l’espérance | | | Jean Paul II Mémoire et identité - Conversations au passage entre deux millénaires J'ai lu 2005 / 5.30 € - 34.72 ffr. / 190 pages ISBN : 2-290-35040-0 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru chez Flammarion (2003) Imprimer
Que dire de Mémoire et identité, ultime ouvrage de Jean Paul II ? Que dire surtout, alors quun concert de louanges sélève pour saluer la mémoire du pape défunt, alors que quelques voix discordantes se font entendre ? Il faudrait sabstraire de ce contexte pour pouvoir commenter sereinement cet ouvrage. Pourtant léditeur lui-même entretient la confusion, en surimposant sur la couverture un bandeau portant ces quelques mots : «le testament politique et spirituel du pape»
Sil sagissait sans doute dune stratégie commerciale pour attirer lattention sur louvrage, ce bandeau prend une toute autre dimension depuis quelques jours : Mémoire et identité demeurera en effet et pour toujours le dernier ouvrage de Karol Wojtyla.
Pourtant, il y a quelque difficulté à le considérer comme son ultime message délivré au monde. Si Mémoire et identité est bien le dernier ouvrage du Saint Père, sil a choisi de ne le publier quen ce début dannée 2005, il sagit pourtant bien du texte remanié de conversations avec deux philosophes polonais, les professeurs Jozef Tischner et Krzysztof Michalski, qui se déroulèrent en 1993 à Castel Gondolfo.
Tentons avant tout de comprendre la genèse de ce texte. Chaque chapitre est organisé selon le même modèle : une brève question, a priori posée par les philosophes précédemment cités, puis la réponse, plus ou moins ample, du pape. Pourtant, alors que ces entretiens ont eu lieu en 1993, le Saint-Père fait fréquemment référence à des événements ultérieurs, au Grand Jubilé de lan 2000, aux attentats du 11 septembre 2001 à Madrid, de mars 2004 à Madrid et même au massacre de Beslan en septembre 2004. Comment comprendre cette contradiction ? Léditeur précise dans une note bien ambiguë que : «les conversations enregistrées à ce moment-là furent transcrites par la suite» et ajoute que «le Saint-Père [
] a estimé opportun délargir la perspective de son discours. Partant des conversations mentionnées, il a voulu aller au-delà, élargissant lhorizon de la réflexion». Voici donc expliqués des anachronismes pour le moins troublants. Mais alors, pourquoi ces conversations nont-elles pas toutes subies le même «lifting» temporel ? Pourquoi, en particulier, dans le chapitre 23, intitulé «Retour à lEurope» et traitant des rapports de la Pologne post-communiste avec le reste de lEurope, nest-il pas fait allusion à lélargissement de lUnion européenne du printemps 2004 ?
Les doutes sur lauthenticité et lunité de ce texte se confirment à la lecture de lépilogue. Que vient faire, dans un ouvrage à caractère philosophique, le récit détaillé et à deux voix celle de Jean Paul II et de son secrétaire Monseigneur Dziwisz - de lattentat perpétré le 13 mai 1981 contre le Saint-Père ?
Mais lon ne saurait sarrêter à la forme même de louvrage, si étrange soit-elle. De quoi est-il question dans Mémoire et identité ? Il sagit dune vaste réflexion sur les sociétés contemporaines, sur la place quy occupe lEglise, mais aussi sur la genèse de ces sociétés et leur rapport au mal. Une attention toute particulière est apportée aux anciens pays communistes dEurope centrale, et tout particulièrement à la Pologne. Bien souvent, le propos du Saint-Père na pas une visée universelle, mais sapparente plutôt à une conversation entre Polonais sur le destin de leur patrie. Ce nest dailleurs pas inintéressant pour le lecteur occidental qui apprendra beaucoup sur lhistoire de la Pologne et de lEurope médiane depuis le Moyen Age. Il est également tout à fait intéressant de découvrir la perception quun homme dEglise venu de lEst de lEurope peut avoir des concepts de nation, de patrie ou encore de culture.
Demeure toutefois au cur de la réflexion du Saint-Père son analyse des «idéologies du mal», qui a déjà fait couler beaucoup dencre. Au cours du XXe siècle ont prospérées les idéologies ou philosophies du mal, qui prirent essentiellement la figure du nazisme et du communisme, ces deux idéologies étant constamment mises en parallèle, en équivalence, ce qui est pour le moins contestable. Mais la réflexion papale ne se limite pas à ce simple constat. Les «régimes édifiés sur les «idéologies du mal »» ont disparu, mais «demeure toutefois lextermination légale des êtres humains conçus et non encore nés» (p.24) et il ajoute : «Dautres violations de la loi de Dieu ne manquent pas non plus. Je pense par exemple aux fortes pressions du Parlement européen pour que soient reconnues les unions homosexuelles comme forme alternative de famille, à laquelle reviendrait le droit dadopter» (id.).
Rien de bien nouveau en somme. Lorigine de tous ces maux ? Une cible clairement identifiée : le courant philosophique issu des Lumières, dont le Saint-Père fait remonter les prémices à Descartes. En pensant lhomme sans Dieu, indépendamment de lui, les philosophes lui auraient alors offert la possibilité de «décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais» (p.25). Les «idéologies du mal» sont donc logiquement qualifiées «didéologie de laprès-Lumières» (p.26). Le Saint-Père sinterroge sur les raisons de leur développement : «En définitive la réponse est simple : cela arrive parce que Dieu en tant que Créateur a été rejeté» (p.26). Rejetant au passage la possibilité dexistence dune morale laïque, le Saint-Père multiplie tout au long de louvrage les attaques contre «la propagande des Lumières» (p.65). Il nhésite pas à recourir à la thèse du complot pour dénoncer les «courants de lanti-évangélisation» (p.64) occidentaux sappuyant sur leur puissance économique pour tenter dimposer leurs conditions aux pays en voie de développement. Ces conditions sont clairement énoncées par lauteur : «les divorces, lamour libre, lavortement la contraception, la lutte contre la vie dans sa phase initiale comme dans son déclin, sa manipulation» (p.64). Il ny a rien à ajouter, les propos du Saint-Père mettent en lumière lampleur du fossé séparant lEglise et ces questions de société contemporaines.
Après avoir lu Mémoire et identité, on ne peut que se rallier à lanalyse de lhistorien René Rémond, publiée dans le cahier spécial joint au journal Le Monde des samedi 3 et dimanche 4 avril 2005 : «Cest la règle de tout pontificat dévoluer ainsi vers plus de crispation, plis de durcissement, comme si linquiétude prenait le pas sur lespérance».
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 27/11/2005 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Jean-Paul II de Bernard Lecomte | | |
|
|
|
|