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Les pommes sont cuites !
Franz-Olivier Giesbert   La Tragédie du président - Scènes de la vie politique (1986-2006)
J'ai lu 2007 /  6.70 € - 43.89 ffr. / 410 pages
ISBN : 978-2-290-00028-1
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en mars 2006 (Flammarion).
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Jacques Chirac aura fait partie du mobilier politique de la Ve République, entamant sous la présidence Pompidou une carrière qui, via la mairie de Paris, le RPR et Matignon, l’aura mené jusqu’à l’Elysée, ses ors, ses canards et ses cadavres. Et comme pour son prédécesseur, on se prend à rêver d’une retraite obligatoire pour cette profession politique qui, à 70 ans et plus, persiste à se croire à l’écoute de la société et de l’avenir… De fait, il appartient à cette génération qui aura longtemps confisqué le pouvoir, trusté les postes et mandariné impitoyablement les générations suivantes. 2005, et l’échec du projet de constitution européenne, sonne toutefois comme une fin de règne officielle : les barons ont l’appétit aiguisé, les cliques se forment et les alliances se nouent… Brutus se prépare. Il manquait un Saint-Simon pour croquer cette cour républicaine en déliquescence : Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point et biographe inspiré, s’y essaie, avec une plume talent-tueuse trempée dans l’acide. Le résultat, dont la presse a depuis longtemps dévoilé les meilleures pages, vaut largement le détour…

Existe-t-il une énigme «Chirac» ? Quels points communs en effet entre l’amateur subtil de culture asiatique, le promoteur des arts premiers, et le viveur parisianisé, courant les bonnes fortunes et les destinations jet-set ? Au jeu du portrait chinois, on serait bien en peine de cerner le personnage, tant il ne se laisse pas aisément enfermer dans une case. Chirac est en soi une somme de contradictions. Il est ainsi capable de se montrer humain (c’est même l’un des traits dominants de son image sympathique, pas seulement forgée jusqu’à l’écoeurement par les Guignols), figure du «brave type» avec qui l’on dînerait volontiers, mais il sait aussi être dur, tant avec ses adversaires qu’avec nombre de ses collaborateurs trop gênants ou devenus inutiles (voire obsolètes). Bourreau de travail et maniaque du détail, il peut aussi se conforter dans un immobilisme (un «ninisme» selon la formule efficace de l’auteur) très radical-socialiste qui passera assez facilement inaperçu dans l’histoire (mais, et c’est salutaire, Chirac ne semble pas se préoccuper de l’Histoire). Machiavélique et retors, il sait faire montre de convictions (face au Front national, à la question de Vichy ou encore à Georges W. Bush) comme il sait épouser les plis de l’opinion, passant de l’ultralibéralisme à la fracture sociale. FOG voit même en lui un révolutionnaire impénitent, qui doit tempérer sa défiance envers les USA et le grand capital ! Peu comptable de l’argent public (mais la République est bonne poire et sait opportunément fermer les yeux sur sa classe politique), il n’a pourtant guère fait fructifier sa fortune privée. Bref, le portrait d’un notable de la vie politique, qui aura fait une «carrière» : aux historiens d’évaluer son passage au pouvoir.

F.-O. Giesbert fait donc le portrait d’un homme et de son rapport au pouvoir. Et le pouvoir ne se saisit pas sans compromis, avec soi-même, avec ses proches (jusqu’à quel point peut-on sacrifier sa famille à ses ambitions ?) comme avec les idées. Ces vingt années d’attente, puis de conquête du pouvoir dans des conditions parfois inattendues (le second tour 2002 et ses 82% de chiraquiens) font l’objet d’un récit vif, stylé : pas de longues analyses, mais des formules efficaces, des portraits surtout. FOG brille par ses portraits : on sent en lui une hésitation permanente entre le journaliste politique et le romancier, avec l’instinct du journaliste qui «sent» son sujet. De fait, l’ouvrage est très largement construit autour de discussions et conversations avec les nombreux acteurs de cette «génération Chirac» ainsi qu’avec Chirac lui-même. En ce sens, cet essai s’apparente un peu à un genre oublié, la biographie – critique – du grand homme par son entourage.

Déjà auteur de plusieurs ouvrages aux confluents du politique et du littéraire, spécialiste des «derniers instants» des présidents (Chirac succédant en ce domaine à Mitterrand), l'auteur fait la démonstration ici que la subjectivité en politique, lorsqu’elle est associée à une belle plume, sait peindre et dépeindre, sinon déconstruire. Mais à la lecture, on sent bien une amertume, et même une double amertume : celle du citoyen qui aura cru un temps en une vision, un projet, qui aura fait un rêve politique dont J. Chirac devait être le chef d’orchestre. De fait, ni en 1995, ni en 2002, Chirac ne sera parvenu à exploiter ses victoires, se contentant souvent de l’immobilisme. Autre amertume, plus perceptible encore, celle du proche, de l’intime déçu par des comportements, des attitudes, des phrases : comme d’autres (on pense à Bernard Billaud, D’un Chirac l’autre, Ed. De Fallois), FOG a perdu son héros et se retrouve face à un personnage habile, volontaire, humain mais pas forcément aimable. Et ça fait mal, la déception, avec une telle plume ! A moins que l’heure ne soit à l’hallali ?

Et subrepticement, on passe du portrait politique (à charge), au jeu politique : FOG roule clairement pour Nicolas Sarkozy et s’en prend donc à tous les autres. Cible numéro 1, Dominique de Villepin fait l’objet des critiques les plus vigoureuses. Le portrait qu’en dresse l’auteur est tout bonnement effroyable : s’il est sévère envers Mitterrand et Juppé, dur envers Jospin, Bérégovoy ou Balladur, il se montre impitoyable avec ce chef de gouvernement qui s’est rêvé en Chateaubriand (mais en politique, Chateaubriand non plus n’a guère fait d’étincelles). A ce niveau, l’ouvrage vire parfois au pamphlet, de même que, vis-à-vis de N. Sarkozy, il prend des allures courtisanes, ou du moins partisanes. Toutefois, et au vu de la gestion catastrophique de la crise du CPE, il s’avère finalement assez prophétique...

F.-O. Giesbert a donné naguère l’une des biographies les plus réussies de Jacques Chirac : ce nouvel ouvrage complète - achève devrait-on plutôt dire – le personnage. Le texte est assez court, se revendiquant de l’essai polémique, au style très enlevé et à la subjectivité affichée, plutôt que de l’étude politique ou historique. Les chapitres, gros de quelques pages, s’enchaînent implacablement, déroulant une carrière qui s’élève et retombe, comme un immense soufflé. Chirac a beaucoup déçu, semble-t-il… Il aura tué un à un ses successeurs potentiels, exploité ses entourages avec méticulosité et sans états d’âme, promis autant que nécessaire, incarné les ambiguïtés des Français, qui rêvent de réformes autant qu’ils les craignent.

Un politicien normal en somme, disséqué par un Monsieur Fabre aux allures de censeur. L’ouvrage se laisse lire, et plus encore, se lit avec délectation… Mais gare à la crise de foi consécutive : comment espérer de la politique après un tel réquisitoire ?...


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 18/05/2007 )
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