|
Poches -> Essais & documents |
| |
Quarante ans sans dormir… | | | Elisabeth Quin Bel de nuit, Gerald Nanty Le Livre de Poche 2009 / 6.50 € - 42.58 ffr. / 311 pages ISBN : 978-2-253-12384-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en avril 2007 (Grasset). Imprimer
Adolescent des années 50, Gerald Nanty est le fils dun couple improbable : père petit notable de Barbizon, mère de quinze ans plus âgée, un mètre soixante-dix-huit, ancien mannequin qui rêvait pour son fils dune carrière de couturier. Cest elle qui pousse son fils à découvrir son homosexualité. «En 1954, javais seize ans, et jétais le seul à ne pas savoir que jaimais les garçons. Ma mère a fait alors un geste inouï, de lordre de louting forcé, du viol psychologique : elle a disposé sur la tablette de ma salle de bains un tube de rouge à lèvres et un sachet de Filpa, ce produit protecteur que les femmes mettaient sur leurs bas. Histoire de me signifier : «Voilà ce que tu es, mon fils, une tante, assume». Cétait une libération, et une indignité».
Elle meurt peu après et Gérard (devenu Gérald lors dun séjour en Angleterre) quitte sa famille pour assez vite entrer dans le monde de la nuit. Les nuits sont alors éblouissantes dans le Saint-Germain-des-Prés du Tabou, dont le disc-jockey est Boris Vian ; caves et clubs sy multiplient au son du jazz, on y danse, on sattarde dans la journée au Flore, Gérald Nanty y vit sa première grande passion pour le couturier Valentino. Depuis plus de quarante ans, il anime les nuits parisiennes, amateur de fêtes mais aussi desprit. Aujourdhui, propriétaire du Mathis, il se souvient devant Elisabeth Quin, qui explique leur rencontre dans une brève introduction quelle conclut sur ces mots : «Les jeunes ethnologues curieux de cette vie parisienne révolue dont Nanty perpétue la mystique, découvriront que la nostalgie est un poison, mais aussi un blason et un sésame. Puisse ce livre ressusciter visages, bouffonneries et flamboiements».
La journaliste et romancière sait écouter, et elle découpe en brefs chapitres les nuits, et leurs princes parisiens depuis presque un demi siècle, au fil et au rythme des souvenirs de son interlocuteur, «cet autodidacte obsédé par la nuit et les gens de lettres et desprit». La nostalgie est au rendez-vous avec Thierry le Luron, Yves Mourousi, Yves Navarre ou Françoise Sagan, amie proche de Gérald Nanty. Lécrivain sulfureux, en vogue dans les années 60, Roger Peyrefitte, est une des stars du livre, Marie-Laure de Noailles passe avec une élégante excentricité, et lactrice Marie Marquet qui, pour recevoir Fellini, fait peindre des portes en trompe lil dans son appartement trop petit
Autant de noms qui ne diront pas grand chose aux plus jeunes lecteurs mais en rappelleront beaucoup aux plus âgés
Des portraits rapides, en quelques traits. Une société qui samuse sans nécessairement oublier davoir de lesprit.
Les nuits homosexuelles ont leur terme : les années SIDA qui tombent brutalement et déciment lentourage de Gérald Nanty ; «de la nuit homosensuelle à la nuit homosexuelle», titre Elisabeth Quin. Plus rien désormais ne sera comme avant. Pour autant on ne sappesantit pas, dautres souvenirs viennent en cascade autour de Françoise Sagan qui organise un déjeuner avec François Mitterrand, qui accueille les policiers venus perquisitionner chez elle, en gardant dans son sac à main le sachet de coke quils recherchaient.
Et aujourdhui
«Le mariolle germanopratin des années 60, loutsider du glamour gay dans les années 70, le provocateur qui ouvrit le premier ses sex-clubs parisiens est devenu une institution. Il biche
». Son bar-restaurant est un endroit à la mode, comme tous ceux quil a animés depuis plus de quarante ans. Reste la question de la relève
Dune écriture rapide, nerveuse, Elisabeth Quin dresse avec talent ce portrait qui est aussi celui dune époque.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 20/05/2009 ) Imprimer | | |
|
|
|
|