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Relire et comprendre Malaparte
Maurizo Serra   Malaparte, Vies et légendes - Edition revue et augmentée
Grasset 2012 /  12 € - 78.6 ffr. / 812 pages
ISBN : 978-2-262-03753-6
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en février 2011 (Grasset)
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Curzio Suckert : étrange nom, italo-allemand, identité, à l’état-civil, d’un écrivain, essayiste et mémorialiste, un peu oublié depuis quelques décennies, qui, sous le nom de Malaparte connut de l’entre-deux guerres aux années soixante/soixante-dix la gloire littéraire dans son pays et à l’étranger, où il fut beaucoup traduit, discuté et commenté. Cet oubli posthume de Malaparte (1898-1957) ne doit rien au hasard : celui qui avait choisi avec assurance, par défi et avec un sens publicitaire remarquable, d’être l’autre de Bonaparte, ou son antithèse, au vingtième siècle, en Italie et dans le monde, avait trop cultivé la provocation, la liberté de ton, l’insolence, pour que sa mauvaise part assumée avec coquetterie ne se retournât pas contre lui. L’apologie provocante du coup d’Etat, ses liens avérés notamment avec le fascisme, ses reportages de guerre du côté de l’Axe, terriblement vivants mais semblant trahir une fascination morbide pour la violence, son admiration pour le bolchévisme, Lénine et un flirt avec le PCI, sans avoir jamais clairement fait amende honorable ni rallié clairement le camp de la démocratie, tout cela faisait et fait encore de Malaparte un auteur «sulfureux». Après avoir étonné et attiré, choqué aussi, l’écrivain a sans doute agacé, avant de quitter peu à peu la scène littéraire. Daté ? Poseur ? Malsain ? Fidèlement défendu par ses admirateurs, jamais complètement oublié du public cultivé, Malaparte subit son purgatoire littéraire. Notre époque le redécouvrira-t-elle ? C’est à quoi s’emploie pour sa part Maurizio Serra.

Passionné par d’autres destins italiens et européens de cette envergure et par la culture française (Marinetti, Malraux, Drieu), rappelant le succès de son «héros» dans notre pays, le biographe (un diplomate-écrivain de l’UNESCO) offre dans notre langue et à destination spéciale du public francophone sa vision du cas Malaparte. Bien écrite et renseignée (quoiqu’un peu longue parfois), informée du débat des spécialistes, cette biographie mérite l’attention par sa richesse et la qualité de sa réflexion ; elle donne aussi une idée assez cohérente du personnage. Si on devait résumer le propos, on pourrait dire que selon Serra, Malaparte fut une figure haute en couleurs, un personnage, fort soucieux de son image et de sa gloire, et dont la vie ne se réduisit pas à celle d’un écrivain, même si la littérature en fut le centre et le tremplin.

«Vies et légendes» : le sous-titre indique assez qu’il s’agit de saisir, par-delà les légendes, noires ou hagiographiques, la réalité des vies de Malaparte. La position de Serra se veut donc loyalement historico-critique. Confiant son admiration à l’égard de son sujet, le biographe ne cache pas non plus sa distance par rapport à lui, comme par rapport à sa famille et à ses inconditionnels, trop zélés défenseurs d’une mémoire fidèle aux écrits et à la parole du maestro. Pour Serra, s’il y a de la grandeur, bien des talents et un certain génie même chez Malaparte, il y a aussi un énorme Ego, qui, à force de forger sa légende et d’exagérer poétiquement la réalité, présente des aspects histrioniques ! Sans compter que réécrivant l’histoire ou la réinterprétant au gré de ses intérêts successifs et de sa gloire, Malaparte ne témoigne pas toujours du courage et de l’insolence qu’il affecte de posséder au suprême degré. Bref, en courtois désaccord avec la famille et les éditeurs, Serra refuse l’idéalisation de Malaparte, d’ailleurs préparée par l’auto-promotion de ce dernier. On comprend l’intérêt de Serra pour d’autres cas de ce genre : sans remonter à Rousseau et Chateaubriand, les exemples ne manquent pas d’œuvres servant délibérément de statues à leurs auteurs, et où de plus l’exaltation de sa propre vie d’aventurier, témoin et penseur de son temps fait clairement partie du projet de l’écrivain (on se permet cependant d’émettre des doutes sur le rapprochement déplacé avec le cas de BHL…).

Cela nous ramène aux noms, reçu ou choisi, qui disent déjà l’ambiguïté d’un personnage fuyant mais égocentrique, travaillé par des origines multiples et le désir de s’inventer. Italien mal à l’aise dans un pays congénitalement faible (malgré le Risorgimento), qui tantôt soutient le fascisme tantôt se veut avant tout Toscan, cultive sa gloire en France (avec l’aide de Grasset qui est éditeur orignal de cette biographie désormais disponible en format de poche), et malgré ses origines germaniques, pourtant mobilisables pour un éloge de l’Etat, du combattant discipliné et viril ainsi que de la force d’âme, valeurs «vitalistes» et «nietzschéennes» présentes chez notre homme, n’aura jamais beaucoup de sympathie et affinités pour l’Allemagne. Fasciste ? Plus qu’il ne l’a reconnu, surtout après 1945, allant jusqu’à se présenter en victime, mais une constante de Malaparte en politique est son antipathie pour Hitler et le nazisme raciste. Et protégé de Mussolini dont Serra rappelle honnêtement qu’il n’était pas le diable et pouvait séduire un esprit comme celui de Malaparte par son énergie et son sens de l’action comme par son sens de la mise en scène et du verbe. Désintéressé, héroïque ? Serra montre les côtés bourgeois et mondains de Malaparte, parfois fort coquet. Viril, grand séducteur ? Ni érotomane, ni si hédoniste que ça. Sportif ? Oui, mais pas forcément passionné par ce qu’on pourrait attendre d’un vitaliste dans les années vingt.

Paradoxe apparent : ce vitaliste fascisant, fasciné par la décision, la force et la violence, se montre plein de compassion par moment pour les faibles ! Mais Serra retrouve la cohérence de celui qui ne put se résoudre à se convertir au christianisme, malgré les instances du clergé catholique ! La part maudite en ces temps de Malaparte, c’est qu’il reste jusqu’au bout fidèle à ce qui a fait son engagement fasciste de jeunesse (refusant finalement l’adhésion au PCI): incroyant devant l’égalitarisme, vite agacé par l’apitoiement sur les faibles qui selon lui se complaisent dans leur impuissance, il n’est respectueux que de l’adversaire radical et loyal et des vaincus qui ont osé se battre. Même si Serra est parfois un peu trop ''politically correct'' à cet égard et vaguement moralisant (ce qui n’intéresse personne), le ton est assez loyal à cet égard.

Serra montre bien surtout ce qui mérite de nous retenir encore chez Malaparte : ce sens poétique du témoignage frappant et de l’image forte, cette capacité intuitive de saisie devant la situation emblématique et de l’anecdote parlante (qu’il arrange certes parfois un peu… pour les besoins de la cause). L’érudit, l’historien scrupuleux trouvent certes dans certaines pages célèbres de Kaputt ou de La Peau des assertions douteuses, mais l’analyse peut y reconnaître des exagérations finalement justifiées : «si non e vero, è bene trovato» comme dit la langue ! C’est la grande cruauté du siècle et l’illusion d’une fin pacifique et réconciliée de l’histoire autour des droits de l’Homme. C’est aussi le déclin de l’Europe, entre les nouveaux Grands d’une nouvelle ère de l’Histoire : après avoir admiré, inquiet, l’URSS, à la fin de sa vie, Malaparte s’intéresse à Mao et à la Chine communiste!

Signalons pour finir qu’a reparu récemment de l’écrivain Monsieur Caméléon. Ambigu pamphlet «anti-fasciste», qui fera plonger le lecteur au cœur des équivoques et du style brillant d’un auteur à redécouvrir.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 25/09/2012 )
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