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L’empereur et l’intellectuel | | | Peter Brown Pouvoir et persuasion dans l'Antiquite tardive - Vers un Empire chretien Seuil - Points histoire 2003 / 7.80 € - 51.09 ffr. / 251 pages ISBN : 2-02-062283-1 FORMAT : 11x18 cm
Lauteur du compte rendu: Yann Le Bohec enseigne lhistoire romaine à la Sorbonne. Il est lauteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits quau grand public. En dernier lieu, il a publié Larmée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), et Urbs. Rome de César à Commode (Le Temps, 2001).
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Avant den dévoiler le contenu, il nous paraît important de signaler que cet ouvrage est politiquement correct, puisquon y trouve une prière à saint Fernand (Fernand Braudel, p.33) et une autre à saint Pierre (Pierre Bourdieu, p.75) ! Pour le reste, cest un livre excellent, et il faut féliciter à la fois le traducteur et léditeur qui vient de le ressortir. Il sagit en effet dune deuxième édition (ou, mieux, dune réimpression), puisque la première version en langue française date de 1998 et que loriginal en anglais a été publié en 1992.
Peter Brown avait prononcé trois conférences en 1988, dans lesquelles il avait voulu tenir compte des progrès de la recherche pour étudier les rapports établis entre lempereur et les élites sociales, qui se confondaient presque totalement avec les élites intellectuelles dans le contexte de la période qui va des environs de 300 aux environs de 450. Cest dire lampleur dun projet qui embrasse les domaines de la politique, de la société, de la culture et de la religion. Dès son introduction, il fit part de deux constatations majeures : dune part, le pouvoir de persuasion des évêques ne cessa de sétendre dans ce laps de temps, dautre part lOrient et en particulier lAnatolie jouèrent un rôle croissant dans lélaboration de ce processus (un voyage à Aphrodisias de Carie a beaucoup aidé à la réflexion de lauteur et à la conception du livre).
Le premier chapitre rappelle que, pendant lAntiquité tardive, la haute société craignait lempereur. En effet, ce dernier pouvait se montrer cruel à son égard, en particulier par le biais de procès et dexécutions. Il avait en outre la possibilité de lui faire payer de lourdes contributions ; cest que, si la fiscalité pesait davantage sur les pauvres que sur les riches en règle générale, il nétait pas interdit à lÉtat de chercher de largent là où il y en avait, quand il en éprouvait le besoin. Et il faut bien dire que ce besoin était récurrent. Toutefois, lempereur ne pouvait pas abuser de ces procédés car les élites lui étaient indispensables. Sans leur soutien loyal, appelé devotio en latin (p.15), ladministration impériale ne pouvait pas fonctionner car elles fournissaient les cadres de lÉtat. Comme le montre le chapitre II, les rapports entre le pouvoir et les intellectuels étaient réglés par la paideia, cest-à-dire par la culture traditionnelle. Le système éducatif, jadis si bien étudié par H.-I. Marrou, dans un livre qui na toujours pas été remplacé (Histoire de léducation dans lAntiquité, 5e édit., 1960), imposait aux élites sociales, en toutes circonstances, de montrer de la courtoisie et de manifester un grand contrôle de soi. Elles attendaient en revanche la bienveillance de lempereur.
Les personnages les plus intellectuels étaient appelés les philosophes, et lon rappellera à ce propos quH.-I. Marrou avait montré que ce terme désignait simplement les hommes cultivés. Ces derniers avaient donc un pouvoir et un devoir, persuader grâce à la magie des mots (p.65). Voilà pour la tradition. Pour linnovation, déjà présente dans les précédents chapitres mais de manière diffuse, elle arrive en force au chapitre III, avec une réflexion sur le christianisme. Les évêques et les moines constituèrent de nouvelles élites et, à partir de la fin du IVe siècle, ils surent faire fléchir le pouvoir. Désormais, cétaient eux qui incarnaient lidéal du philosophe et, aux valeurs traditionnelles, ils ajoutèrent de nouvelles valeurs qui leur étaient propres. Ils apprirent notamment à tous que Dieu pouvait ressentir de la colère et quil manifestait de la pitié. Apparut ainsi une sorte de populisme chrétien (p.107), et il nest pas sûr que Peter Brown approuve ce changement. Cette pratique se manifesta par une demande aux riches : ils devaient nourrir les pauvres et être leurs amis. Mais, pour éviter les excès et les débordements, lévêque avait lobligation de remplir une mission de surveillance. Le dernier chapitre est plus une conclusion quun développement à proprement parler. Il montre que la littérature chrétienne utilisa un nouveau langage du pouvoir, comme on dit de nos jours, cest-à-dire quelle élabora une série darguments inédits pour justifier un équilibre original. En Orient, au Ve siècle, les intellectuels chrétiens pensaient quil fallait sauvegarder un équilibre entre trois pouvoirs, celui de lempereur, celui des élites municipales et celui des évêques.
Il paraît inutile de revenir sur les éloges adressés à lauteur, au traducteur et à léditeur. Nous ajouterons donc simplement que la présence dun copieux index permettra aux chercheurs de retrouver aisément les références et les idées dont ils pourraient avoir besoin.
Yann Le Bohec ( Mis en ligne le 27/02/2004 ) Imprimer
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