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Au service d’une idéologie meurtrière | | | Michel Roquebert Simon de Montfort - Bourreau et martyr Perrin - Tempus 2010 / 10 € - 65.5 ffr. / 403 pages ISBN : 978-2-262-03352-1 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en mai 2005 (Perrin)
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Par quels détours de lhistoire un petit seigneur dIle-de-France a-t-il pu, lespace de quelques mois, se trouver, en droit sinon en fait, à la tête dun domaine plus vaste que celui de son roi, Philippe Auguste ? Pourquoi cette image contrastée comme le souligne le sous-titre de la biographie quil a laissée dans les mémoires ? Cest en tout cas une prodigieuse aventure que conte, avec le talent de narrateur et la prodigieuse maîtrise des sources qui lui sont habituels, le spécialiste de lhistoire des cathares quest Michel Roquebert.
En cette fin XIIe-début XIIIe siècle, la politique «extérieure» du royaume de France est dominée par les rebondissements du conflit franco-anglais. La religion est le moteur des comportements ; tout bon catholique (il faut bien user de ce terme anachronique pour distinguer ceux qui suivent le pape de Rome de ces «chrétiens» quon appellera plus tard «cathares») ne pense quà lutter contre lhérésie et à pourfendre linfidèle, quil soit en Terre Sainte ou au sein du royaume ; lÉglise ly incite dailleurs fermement, qui octroie des privilèges spirituels à qui sengage pour la croisade, outre mer ou dans le royaume. La féodalité, avec ses règles complexes dhommages et de services, règle les rapports. Cest dans ce contexte que sinscrit laventure de Simon.
Pour saisir le personnage, nous disposons de deux types de sources qui en dressent des portraits radicalement opposés. Le valeureux «chevalier du Christ», capable de planter là (devant Zara) une Quatrième croisade détournée de son but pour aller péleriner à ses frais en Terre Sainte, est aussi celui qui assumera, avec des responsabilités croissantes de 1208 à sa mort au combat en 1218, la conduite de la croisade qualifiée d«albigeoise» par les historiens ; cest celui que décrit dans sa chronique ce véritable correspondant de guerre quest le cistercien Pierre des Vaux de Cernay. Mais Simon est aussi un criminel de guerre sans scrupule, capable de faire jeter vivante au fond dun puits et de la recouvrir de pierres une parfaite cathare, un capitaine faisant «le dégât», comme on disait alors, et de tout dévaster, tuant et pillant sur son passage, que nous décrit lauteur anonyme dun poème occitan. Lun et lautre racontent la même histoire, mais le héros nest pas de même couleur.
Incontestablement, cest un guerrier infatigable, un stratège rarement pris au dépourvu. Et secondé activement par son épouse et toute sa famille. Un chapitre essentiel pour comprendre la mentalité des croisés est consacré par lauteur non pas tant aux croyances cathares en tant que telles, mais à ce que pouvaient en percevoir Simon et les siens, à travers le prisme déformant dune interprétation fondée sur ce quon en saisissait chez les catholiques. Quant aux événements racontés par M. Roquebert, ce sont ceux qui introduisent à lhistoire de la chasse aux cathares ; une épopée militaire sur fond de convictions religieuses, partagées de part et dautre avec une égale conviction par les adversaires des deux camps.
Sy ajoute pour les seigneurs languedociens la volonté de défendre son bien, car outre le devoir déradication de lhérésie, le principe de la croisade menée ici est celui de la légitime dépossession par les armes de tout prince qui tolère les hérétiques sur ses terres. Les campagnes militaires se succèdent au rythme des saisons et des contingents amenés en renfort par les alliés de Simon ; encore le chef militaire de la croisade doit-il composer avec lengagement des «quarantaines», ces quarante jours de service armé dus par un vassal à son seigneur. Des cartes, en fin douvrage, permettent de suivre les principales campagnes à qui nest pas familier de la géographie du Languedoc. Parmi les épisodes attendus, on trouve, bien sûr, le massacre perpétré à Béziers, la bataille de Muret. Dans le fil du récit des sièges, chevauchées, batailles, il faut bien reconnaître quon perd parfois un peu de vue le principal personnage, tant simbriquent les uns dans les autres faits darmes, négociations, hommages. Ici et là passent des personnalités sur le rôle desquelles lauteur redresse des opinions infondées : ainsi Dominique, qui naura joué quun rôle très secondaire dans laventure de Simon de Montfort.
On aimerait, bien sûr, pouvoir cerner la personnalité du croisé, mais elle sefface finalement derrière les événements dont il nest pas le seul maître ; le pape, le roi dAragon, le comte de Toulouse sont parfois plus faciles à appréhender. Que Simon ait trouvé dans les conditions de la croisade la légitimité de ses ambitions ne fait pas de doute pour lauteur de louvrage. Ses traits physiques, comme il est habituel encore à cette époque, restent inconnus.
À défaut, M. Roquebert propose, à travers sa bibliographie classée par ordre chronologique de parution des ouvrages cités, une histoire de lhistoire de Simon de Montfort. Un personnage qui fascine, cest clair.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 21/09/2010 ) Imprimer
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