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Les grands oubliés de l’histoire de l’Occupation
Isabelle von Bueltzingsloewen   L'Hécatombe des fous - La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l'Occupation
Flammarion - Champs 2009 /  12 € - 78.6 ffr. / 520 pages
ISBN : 978-2-08-122479-7
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en février 2007 (Aubier).

L’auteur du compte rendu : Eric Alary, agrégé d’histoire, docteur en histoire de l’IEP de Paris, est professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure. Il est l'auteur de La Ligne de démarcation en 2003 et Des Français au quotidien (1939-1949) en 2006 chez Perrin.

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Voici un sujet délicat auquel s’est attaquée Isabelle von Bueltzingsloewen : la mort des malades mentaux pendant l’Occupation en France, en raison de la dénutrition, ce dans des conditions épouvantables. Les photographies présentes dans l’ouvrage en témoignent. La ressemblance avec celles prises au moment de la libération des camps de concentration nazis est frappante.

L’objet de cette minutieuse étude est au cœur d’un débat passionnel. Depuis les années 1980, la mort de près de 45000 malades mentaux dans les asiles d’aliénés français a suscité une polémique à partir des travaux de Max Lafont (thèse de doctorat en médecine, 1981) : il était alors interne à l’hôpital lyonnais du Vinatier. Cet étudiant a été l’objet de pressions du président de l’université pour réviser ses conclusions, jugées sans doute trop défavorables à l’institution, afin de pouvoir soutenir sa thèse. Quelques semaines après la soutenance d’une thèse brillante, le jeune docteur décide d’apposer pendant quelques heures une plaque en bois pour rendre hommage aux malades morts de faim sous l’Occupation. La presse locale s’empare de cet événement. En 1987, la polémique est relancée – dans le contexte du procès de Klaus Barbie - par un article paru dans Le Monde, qui porte sur la mort des malades mentaux sous l’Occupation dans les hôpitaux psychiatriques ; c’est un résumé de la thèse de Max Lafont, publiée sous le titre L’Extermination douce. Le docteur compare le sort des malades mentaux français à celui de ceux exterminés en Allemagne dans les années trente.

Or, la différence entre les deux pays est fondamentale : en Allemagne nazie, la mort des «fous» a obéi à un programme d’extermination très précis. En France, imputer la responsabilité de la mort de 45000 malades mentaux au régime de Vichy tient de l’erreur historique, ce qu’Isabelle von Bueltzingsloewen démontre avec courage. Elle observe que Vichy n’a jamais décidé d’opérer un crime massif des «fous» français. Elle fait un reproche de taille à Max Lafont : il ne parle pas de génocide, mais montre que le régime de Vichy a sans doute permis une «mort douce» des aliénés. Il ne s’appuie sur aucune archive historique. De 1987 à 2000, la polémique a enflé malgré les interventions d’historiens tels Henry Rousso ou Claude Quétel, par exemple. Entre-temps, Lafont est relayé par un ouvrage publié par le médecin-chef du Vinatier qui parvient aux mêmes conclusions que lui, à savoir que la famine avait été provoquée sous les ordres de Vichy.

Dès 2000, Isabelle von Bueltzingsloewen coordonne une équipe de spécialistes d’histoire de la santé et de l’histoire de l’Occupation. Depuis, elle a scruté avec soin les archives en posant des questions neuves : «Comment, dans le contexte spécifique de l’Occupation, des milliers d’aliénés internés ont-ils pu mourir de faim dans les hôpitaux psychiatriques français ?». Elle expose avec une rigueur implacable sa méthode d’analyse et tire ses conclusions autour de trois grandes parties. La première essaie de dénombrer le nombre de victimes de la famine dans une centaine d’asiles d’aliénés et de retracer la synthèse d’«un scénario d’une famine meurtrière». Les rations ont été réduites progressivement, inexorablement. Des récits terribles permettent d’observer ce que furent les souffrances des malades ; ils moururent lentement dans des conditions épouvantables.

Dans une deuxième partie, la chercheuse démontre combien des solutions ont été recherchées par les personnels de santé dans les hôpitaux psychiatriques pour tenter de trouver des rations alimentaires supplémentaires à l’heure où les Français manquaient de tout. Ces derniers ne se souciaient pas vraiment de savoir ce que devenaient ces malheureux. De même, des médecins aliénistes ont essayé de nier la réalité de la famine en prétextant une cachexie due à la maladie mentale. Si les thèses eugénistes ont été présentes dans les débats, elles ont été systématiquement rejetées avec virulence par de grands spécialistes de la psychiatrie y compris parmi les plus vichystes. Nombre de médecins ont constaté le drame de la famine et ont été horrifiés par leur incapacité à augmenter les rations. Libérer les malades a été une solution envisagée, mais où pouvaient-ils aller, le plus souvent sans famille ou éloignés de parents dont plus personne n’avait de nouvelles ? Mieux valait les garder enfermés. Une fois la guerre terminée, les «fous» survivants n’ont pas pu témoigner et leur sort n’a pas été médiatisé. La troisième partie permet de mettre en relief l’histoire du fonctionnement et des dysfonctionnements du système des hôpitaux psychiatriques en France. Elle développe les débats des médecins aliénistes pour chercher de nouvelles méthodes d’enfermement. Plusieurs expériences ont été pensées, fort bien décrites dans l’ouvrage.

Au total, avec des chiffres croisés et une méthode irréprochable, l’auteur montre que le régime de Vichy n’a donné aucun ordre d’extermination ; l’eugénisme des «fous» n’a jamais été au cœur des discussions. Certains médecins vichystes pensaient que les fous étaient aussi des êtres vivants qui méritaient que leur existence soit protégée tant bien que mal. Cela dit, Vichy a développé un vaste programme de santé, trop ambitieux eu égard aux faibles moyens dont il disposait. Mais si l’Etat français a concentré ses efforts pour lutter contre la tuberculose, force est de constater que la modernisation de la médecine psychiatrique n’a jamais été prioritaire, même si des réflexions furent engagées pour réfléchir à des nouvelles solutions plus idoines, tels l’électrochoc ou l’ergothérapie.

L’ouvrage d’Isabelle von Bueltzingsloewen montre qu’il est essentiel que le devoir de mémoire soit étayé par une solide recherche historique afin d’éviter les contre-vérités historiques et les polémiques destructrices. L’enquête est totalement neuve et stimulante, enrichie assez souvent de témoignages poignants. L’ouvrage est complété par un appareil critique efficace, des annexes statistiques et une bibliographie sélective. Il est incontournable sur l’histoire des conditions de vie d’une partie des Français pendant l’Occupation.


Eric Alary
( Mis en ligne le 24/03/2009 )
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