| Christophe Bec Paolo Mottura Carême (tome 1) - Nuit blanche Les Humanoïdes associés - Les 3 Masques 2004 / 12.60 € - 82.53 ffr. / 48 pages ISBN : 2731615567 FORMAT : 24 x 32 cm Imprimer
Il y a des albums (comme des livres, des musiques , des films
) qui semblent avoir été touchés par la grâce, comme des moments dapesanteur dans un monde de brutes : Carême, de Bec et Mottura, appartient indéniablement à cette catégorie. Lhistoire ne paye pas de mine : il sagit dune amitié, celle qui lie Martinien Fidèle, petit vendeur daspirateurs maigrelet, et Aimé Carême, restaurateur de fresques obèse. Cest la rencontre de deux solitaires, un peu écorchés de la vie, habitués aux restaurants perdus, aux villes grises
Et puis un jour, un rayon de soleil dans deux existences un peu mornes : au début, on se cherche un peu, mais rapidement, cest lamitié folle, couronnée par un chien, aussi perdu que ses nouveaux maîtres. Carême est un esthète, un érudit et un convive agréable, quoique timide. Fidèle est serviable, sympathique, un peu perdu dans un monde qui le dépasse. Nos deux compères décident de cheminer ensemble, jusquà la grande ville de Lanmeurbourg. Mais le destin les attend dans un tunnel de montagne.
Cest beau comme un film de Jean-Pierre Jeunet (avec quelques allusions, comme le Fast Hotel de la page 25, qui ressemble un peu à celui de Delicatessen), dessiné comme un album de Schuitten, léger comme un disque de Souchon, magique et émouvant. Les dialogues de Christophe Bec (tout aussi talentueux comme dessinateur de Sanctuaire : il y en a qui ont tous les dons !) sont simples, sans fioritures, mais touchants. Lhistoire de ces deux pierrots lunaires perdus dans un monde froid est faite de petits riens : un gag à répétition avec des endives, quelques moments émouvants quand on découvre la solitude dans laquelle chacun se débat. Le graphisme est également fort réussi, très poétique : le monde dans lequel évoluent les deux héros est bizarre, un peu déglingué, avec une architecture très inspirée par lart déco (doù la référence à Schuitten), mais il rappelle le nôtre, avec ses foules pressées et stressées, sa gare centrale, temple de la vitesse et de la précipitation, ses petits vendeurs écrasés par de grosses firmes. Surtout, à travers les aventures de Carême et Fidèle, chaque lecteur reconnaîtra des émotions, des doutes familiers (la méfiance envers celui qui est différent, le rejet). Un bel exemple démotion et de simplicité.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 31/10/2004 ) Imprimer | | |