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Bande dessinée -> Comics |
| Frank Miller Terreur sainte Delcourt - Contrebande 2012 / 128 € - 838.4 ffr. / 128 pages ISBN : 978-2-7560-3359-4 FORMAT : 30,4x23 cm Imprimer
Voilà donc ce fameux livre traduit chez nous. À vrai dire, on ne pensait pas le trouver si tôt dans les librairies, on ne pensait même pas le trouver du tout. On ne sait pas si cest une bonne nouvelle au final. Certains crieront à la liberté dexpression. Soit, on a tous le droit de dire, décrire, ou de filmer des conneries, en effet.
On ne peut toutefois pas aujourdhui renier ce que lon a adoré autrefois. Et, même après ce livre, Frank Miller reste un grand auteur, créateur de quelques plusieurs chefs duvre et est, avec quelques autres (Neil Gaiman ou Alan Moore) lun de ceux qui ont donné aux comics une grendeur et une puissance souvent absente. On pense à son travail sur Daredevil, Elektra (avec Bill Sienkiewicz au top), et bien évidemment Batman. Sans son Dark Knight Returns, Chris Nolan serait sans doute en train de tourner Inception 3 en ce moment. On touche au sublime, lorsque Miller semblait autant anar que réac et que ces deux facettes, ces deux visages (Two-Face) semaient encore le trouble dans lesprit du lecteur et enrichissaient son discours. Il était déjà question de violence gratuite, de justice aveugle, de milices et de vengeance, mais lensemble était porté par une réflexion solide et un recul nécessaire. Superman en vieux beau nigaud costaud au service dun gouvernement conservateur, cétait tout de même quelque chose.
Et puis quelque chose sest grippé, dans les alentours de Sin City. Une violence de plus en plus froide, sans second degré, une misogynie qui ne se cache plus, et un discours qui se radicalise en même temps quil sappauvrit.
Avec Terreur sainte, on est donc dans de la bande dessinée de propagande, comme laime à le dire lui-même Miller. Si Captain America bottait les fesses dHitler, pourquoi nos super héros daujourdhui ne pourraient-ils pas rendre la pareille aux « méchants » actuels. Sauf que, chez Miller, ces derniers nont pas de visage, pas de chef. Aucun bouc émissaire capable de personnifier le mal. Cest bien simple, pour Miller, ils en font tous partie, ils sappellent tous Mohammed, et les mosquées sont des repaires ultrasophistiqués pour tous ces terroristes. Tout cela pourrait passer pour de lhumour si Miller ne semblait pas aussi sérieux, déterminé à en finir avec tous ces ennemis qui en veulent à son Amérique.
Lhistoire est simplissime, comme si Miller navait pas eu le temps de potasser son sujet, un cri du cur sorti du crayon. Un sous-Batman et une sous-Catwoman sont aux prises avec des terroristes qui sèment le chaos dans la belle ville dEmpire City. Des bombes, des clous, des rasoirs, des mosquées infestée dislamistes surarmés, et même un flic ripou. Et donc : il faut aller tuer ces barbares. Fin. Tout va très vite, Miller privilégie laction, les raccourcis. En filigrane, il brode une histoire damour entre ces deux super héros. Si dans la version voulue dabord par Miller, il devait sagir dune (énième) idylle entre Batman et Catwoman , il est vrai que cette histoire romantique entre ces deux parfaits inconnus laisse de marbre. Miller a créé, en 2 secondes vraisemblablement, ce héros pas super, au charisme de yaourt. Toutefois, on retiendra cette lueur despoir dans un monde noir. Quelque chose de tragique et de beau se passe ici.
Graphiquement, Miller reste grand, créatif. Le format à litalienne fait déjà beaucoup ; le dessinateur se répand dans lespace, les corps, massifs et puissants comme ceux de Jack Kirby il y a plus de quarante ans font de la gym dans le blanc du papier : chorégraphie hallucinante et belle, laction devient un drôle de ballet. Tout cela est beau, même si creux. Il y a ensuite quelques belles idées de mise en page, et une constante envie de se battre avec le dessin, les matières, le noir et le blanc. Miller reste un maître. Dommage quil nait pas grand-chose à raconter.
Un coup dil à la couverture et lon commence à se poser quelques questions : ces deux bonshommes qui se battent. Et ces dents qui volent. Franchement ? On na pas vu ça depuis Tom et Jerry. Avec ce livre, Frank Miller a comme le cul entre deux chaises et plus on avance dans la lecture plus cette impression samplifie. Entre pamphlet et grosse farce (Jihad ! / À tes souhaits !, le cur balance, et ça lui fait mal.
Ça nest pourtant pas une série B. On nest pas dans un film de Chuck Norris avec de méchants arabes encagoulés qui font rire. Ici tout fait froid dans le dos : lassurance de Miller, son dessin noir, violent, terrible, et son discours cru. Idiot et limité certes, mais tellement brutal, quil en est terrifiant. Cest un cri diront certains, une révolte. On nentend seulement quun gros rot nauséabond, aux idées pas très claires. Il y a ces flashs qui font alterner Dick Cheney, Michael Moore, Obama, une femme lapidée et même un escargot ???. Que se passe-t-il à ce moment ? Tout cela nest plus aussi carré que prévu, peut-être même franchement barré et achève de souligner le flou du propos de Miller. Sait-il vraiment où il en est ? Ce livre dit-il quelque chose ? Ou nest-il simplement pas à côté de toutes les plaques.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 08/10/2012 ) Imprimer | | |
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