| Koren Shadmi Abaddon Ici Même 2013 / 26 € - 170.3 ffr. / 123 pages ISBN : 9782369-120001 FORMAT : 30x22 cm Imprimer
Ca commence comme un chouette sitcom américain : larrivée dun type un peu étonné, vaguement intimidé, dans une colocation, la découverte de ses habitants, originaux et, au premier abord, sympathiques, et la petite vie qui sinstaure. Il y a là Vic, lathlète local, Bet, la pin-up, Shel, gentille et grassouillette, et Nor, lartiste. Mais très vite, le sitcom devient grinçant, et le héros prend conscience du problème
ou plutôt des problèmes : il est manifestement enfermé dans cet appartement environné de murs, et certains de ses colocataires ne sont pas si sains desprits. Vic, par exemple, la brute qui ne se calme quavec un biberon de lait, ou Nor, qui modèle des objets à partir dun liquide gras qui suinte de partout. Heureusement, il y a la jolie Bet, dont tout le monde est amoureux, Bet qui est férocement convoité par Vic. Les rôles sont manifestement distribués, et Ter arrivé bon dernier, nest pas résigné. Il sinsurge certes, mais tout le monde nie la bizarrerie de cette situation, de ce huis clos imposé. Ne pouvant séchapper de lappartement, et ravagé par des traumatismes de guerre, le jeune homme cherche à comprendre ce nouvel environnement marqué du nom dAbbadon, en saisir la logique et peut être même réveiller ses colocataires de leur routine mortifère. Mais seul, et confronté à la folie du lieu comme à celle de ses habitants, dispose-t-il vraiment une porte de sortie ?
Il y a des thèmes qui, toujours, demeurent porteurs : le huis clos, éprouvant sil est bien mené, reste une valeur sûre. Avec Abaddon, Koren Shadmi sinscrit dans une belle tradition qui, de Sartre à la Quatrième dimension, exploite cette situation étrange, aux franges du fantastique, comme une déclinaison sociale de lenfer. Au cur de cet album très réussi, cest déjà limage qui frappe : dans cet univers monochrome, qui décline le vert glauque sur tous les tons, les seuls tons chauds sont ceux des habitants de limmeuble, de leur nourriture (ou supposée telle) ainsi que le liquide qui sécoule des canalisations
un rouge pâle qui tranche, et confirme le côté fantastique de la situation. Et dans ce mini dédale quest lappartement et ses secrets, Ter, le héros, erre comme une véritable « âme en peine », se heurtant aux individus et aux objets sans comprendre. On suit avec lui des pistes variées, les objets cassés à réparer, les livres incompréhensibles, et ce mot, « Abaddon », gravé sur tous les objets, qui renvoie à un passage biblique. Les traces laissés par un locataire échappé, Tal, sont autant dindices pour le héros comme pour le lecteur, également perdu. En partant de ce schéma simple - on rassemble quelques personnes pour mettre en exergue leurs bizarreries - Koren Shadmi livre un huis clos pesant, dantesque même une préfiguration de lenfer parfaitement maîtrisé, tant graphiquement que scénaristiquement. Un premier tome très réussi, qui joue bien des codes du genre pour désorienter le lecteur sans le perdre, en le plaçant dans la peau du héros. On attend donc avec impatience la suite des déambulations de Ter, ou le résultat (peu douteux) de son évasion. Une vraie découverte en tous les cas.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 03/06/2013 ) Imprimer
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