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Bande dessinée -> Fantastique |
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Sorcières comme les autres | | | Carole Martinez Maud Begon Bouche d’ombre - Lou 1985 Casterman 2014 / 15 € - 98.25 ffr. / 72 pages ISBN : 9782203066649 FORMAT : 31x23 cm Imprimer
En quelques années et seulement deux romans, Carole Martinez sest fait un nom en littérature. Cur cousu, puis Du domaine des murmures, prix Goncourt des Lycéens en 2011, ont posé les bases dune uvre forte et personnelle, dominée par un engagement de femme. Après des siècles, voire des millénaires de domination de lécriture par les hommes, Carole Martinez se donne comme mission de redonner la parole à son sexe : aussi ses romans explorent-ils les relations de maternité, la lignée, la transmission de la vie, dans un rejet du pouvoir masculin et de ses injustices historiques.
Que cette écrivaine se lance aujourdhui dans la bande dessinée nest pas neutre. Si le médium porte la trace des volontés féministes depuis les années 1960 (par les vecteurs de Wimmens comix ou Ah nana !), il nen a pas moins été un bastion masculin pendant des décennies. Les héroïnes de papier ont longtemps reflété les désirs dun lectorat mâle ou la décalque des aventuriers traditionnels affublés dun jupon pour loccasion. Que lon puisse aujourdhui, sans tomber dans la dérive girly dun marketing publicitaire, faire émerger dans la bande dessinée une véritable culture de genre féminin est un enjeu à suivre.
Cest bien sûr une autre femme, Maud Begon, qui sassocie à Carole Martinez pour mettre en images le récit de Bouche dombre. Où une jeune fille des années 1980 se découvre le pouvoir de discuter avec les morts, et de devoir accomplir des missions pour lau-delà. Dans les tomes suivants, les auteures nous donnent rendez-vous pour remonter la lignée familiale de ces femmes voyantes, condamnées à partager les souffrances dautrui et à pénétrer secrets et mystères.
Les personnages sont nombreux autour de cette Lou, et plutôt bien sentis. Outre une grand-mère voyante et un voisin charmant, nous accompagnons surtout une bande de lycéens potaches, qui font tourner les tables dans une ancienne maison du quinzième arrondissement. Chacun a son caractère et son histoire plus ou moins avouée. Pour les faire vivre, Maud Begon fait le choix dun traitement au crayon, qui fait la part belle aux silhouettes plus quaux émotions du visage. Lefficacité y perd ce quun certain sentiment de collectivité y gagne. Ainsi, si la première partie du livre sattarde dans des anecdotes dintérêt inégal, les personnages y trouvent une consistance gagnante à la fin du récit, quand leur avenir nous touche dans ses succès et ses échecs. Les amours ratés, les familles en peine, trouveront un écho en chacun de nous.
Maud Begon et Carole Martinez sattaquent donc à un projet alléchant. Certes, lune et lautre sont encore au début de leur carrière dauteures de bande dessinée, et il est par moment difficile dentrer dans cet univers. Mais leur tendresse authentique nen fait pas moins un projet qui mérite dêtre suivi, sous le patronage de Victor Hugo et de Téléphone. La bande dessinée risque tout au plus dy gagner un ton nouveau.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 02/06/2014 ) Imprimer | | |
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