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Bande dessinée -> Fantastique |
| Morgan Navarro L’Endormeur (tome 3) - Miroirs noirs Delcourt - Shampooing 2015 / 14.50 € - 94.98 ffr. / 160 pages ISBN : 978-2-7560-3766-0 FORMAT : 14,7x21 cm Imprimer
De Morgan Navarro, on connaît surtout le travail animalier en couleur, chez Gallimard ou aux Requins Marteaux : un univers criard où lautobiographie se mêle avec les fantasmes, comme dans Teddy Beat. Quil se lance en parallèle dans une série dheroic fantasy en noir et blanc est pour le moins inattendu.
En effet, depuis trois intrigants volumes, Morgan Navarro nous raconte les aventures de Merlin, jeune père de famille entraîné dans les multiples dimensions des « Douze Terres » après avoir signé une sorte de pacte diabolique pour endormir son fils. Nous en sommes déjà à la conclusion de la trilogie et les fils narratifs prennent désormais un peu plus de sens. Merlin a maintenant une bonne idée du lieu où il se trouve et des pouvoirs quil y possède. Mais sa femme et leur fils sont encore détenus par une entité néfaste, et il ne sait pas par quel bout reprendre le contrôle sur sa vie. Entre amis et ennemis, la frontière est floue, et les manipulations se succèdent sans quil sache quel choix est à sa portée.
Un des intérêts de la série tient à la navigation constante entre les genres : élaborant un récit populaire aux structures conventionnelles, Navarro est capable de le rompre pour dessiner des images fantastiques gratuites, de dresser une satire de la religion ou du racisme ordinaire, ou encore de réorienter les aventures vers la parabole autobiographique. Les dieux égyptiens, Matrix, la crise des banlieues se mêlent sans prévenir. On peut lire LEndormeur comme une histoire au premier degré, ou y chercher les échos dune uvre plus personnelle, plus tortueuse.
Cest dabord un récit sur lapprentissage de la paternité, durant lequel Merlin va accepter lautonomie progressive de son enfant, sans pour autant renoncer à ses responsabilités. Cest aussi une réflexion sur le rapport au réel et le désir dévasion. Tous les personnages rêvent dune vie différente et linventent, quitte pour cela à mentir. Alors que le deuxième tome accordait beaucoup de place au thème de la religion, celui-ci dépoussière la vieille métaphore du monde comme jeu entre dieu et diable. Cest à la fois une mise en abyme et une façon de jouer avec les références comme un plaisir sucré : sommes-nous tous condamnés à ne vivre que dans un univers de jeu vidéo, où la virtualité geek est la dernière option ?
Lautre curiosité de la trilogie est le peu deffets graphiques choisis par le dessinateur. La figure de « lendormeur », ce mystique encapuchonné, pourrait sortir dun album de Moebius ; mais le trait de Navarro en est bien loin, pauvre, presque maladroit. Sur ce tracé léger, quelques caricatures détonnent. Les grandes oreilles de Merlin, la tête nuageuse dun passeur ou le visage géométrique dun centaure font irruption dans des cases plus vraisemblables. Façon de renvoyer à létrangeté du rêve sans rompre avec son universalité. Plus le récit se fait puissant, et certaines images parviennent véritablement à nous inquiéter profondément, plus Navarro semble prendre plaisir à revenir au quotidien. Comme si les frontières étaient floues et que nos actions relevaient toujours dun dérisoire bien humain.
Heroic Fantasy alternative ou autofiction new age, LEndormeur a de quoi surprendre ses lecteurs.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 15/05/2015 ) Imprimer | | |
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