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Bande dessinée  ->  Fantastique  
 

Au royaume des aveugles…
Alberto Breccia   Ernesto Sabato   Rapport sur les aveugles
Vertige Graphic 2005 /  18 € - 117.9 ffr. / 62 pages
ISBN : 2-908981-74-2
FORMAT : 22,5cm x 29,5cm
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Le parcours des dessinateurs de bandes dessinées suit souvent une même direction. Aux années d’apprentissage suit le temps de la maturité artistique et des tentatives graphiques diverses avant de voir l’épure et la simplification dominer le travail. De Hergé à Moebius, nombreux sont ceux qui ont fait de la recherche du trait unique et juste leur moteur artistique. À l’inverse, tout au long de sa carrière, Alberto Breccia n’a jamais cessé de pousser son dessin jusqu’à ses limites, de confronter ses lignes pures et souples qu’il maîtrise à la perfection à des accidents de parcours, des formes abstraites et de casser ce noir-et-blanc qui a fait sa renommée pour des nuances de gris aux textures diverses. Le blanc du papier devient peu à peu une surface de collage, le terrain d’invention aux multiples possibilités pour le dessinateur devenu peintre et plasticien. Le trait devient heurté, fébrile, constamment remis en question. Le temps des clairs-obscurs élégants de Sherlock Time et des ambiances mystérieuses de Mort Cinder est bel et bien révolu. Désormais, Breccia n’hésite pas à s’attaquer à «l’indicible» : il adapte Lovecraft et ses visions fantastiques, et pousse ainsi toujours plus loin l’expressivité du trait, quitte à perdre son lecteur.

Chercheur et artiste à part entière, Breccia n’a que peu d’équivalents dans le monde de la bande dessinée. On songe à Alex Barbier, ou, dans une moindre mesure, à Bill Sienkiewicz. La même motivation guide les trois dessinateurs : celle de confronter une fois pour toutes la bande dessinée à ses vieux démons, et à lui faire passer définitivement ses complexes devant des arts dits nobles. Au lecteur de suivre ou non, selon ses goûts et ses attentes, mais il ne pourra nier l’importance et la valeur de telles entreprises.

Adapté d’un long passage de Héros et tombes d’Ernesto Sábato, Rapport sur les aveugles est une vertigineuse plongée dans un monde de ténèbres où la mort et la peur règnent en maîtresses. Le protagoniste, Fernando Vidal Olmos, est obsédé par les aveugles ; il les observe, les étudie, s’interroge sur leur mode de vie, leur hiérarchie, leurs origines. Dans ce monde étrange et décalé, vu à travers les yeux déformants de Vidal Olmos, la cécité a fait de ces hommes une sorte de nouvelle espèce humaine, une race autre qui intrigue le héros au point de lui faire perdre la tête. Son enquête, qui dure depuis des années, le conduit finalement à approcher d’un peu trop près cette secte inquiétante, et le voilà perdu dans l’antre de ces créatures surhumaines aux secrets bien étranges. Au royaume des aveugles, les borgnes ne sont pas les rois et les voyants sont les premiers égarés. Perdu dans une grotte où l’obscurité est cette fois la même pour tous, Vidal Olmos cherche avant tout à échapper à ses bourreaux. Il découvre des lieux gigantesques, des sites monumentaux rappelant une iconographie des Enfers. Paysages de création du monde et entités démoniaques se succèdent dans cette course échevelée que mène le héros désormais tout à fait perdu entre réalité fantastique et sa propre folie.

C’est cette paranoïa et ce délire éveillé que cherche à mettre en cases Alberto Breccia. Pour parvenir à ses fins, il use d’une narration volontairement chaotique. Loin d’être pris par la main, le lecteur est dès le début poussé dans un monde où tous ses repères ont disparu et où rien ne semble normal. Une déstabilisation présente dès les premières planches, et la suite ne sera que plus rude puisqu’au délire purement textuel succède une imagerie cauchemardesque et hallucinée, une suite de vignettes explosives parfois proches de l’abstraction, images mentales d’un cerveau dérangé. Devant tant de bousculades et de ballottage, le lecteur peut choisir la solution de facilité et décider de fuir, mais ce serait passer à côté d’une expérience de lecture singulière où la poésie et la peur font bon ménage. À tout point de vue, cet avant-dernier album du maître argentin est une belle réussite.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 11/01/2006 )
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