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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Ángel de la Calle Tina Modotti Vertige Graphic 2011 / 26 € - 170.3 ffr. / 272 pages ISBN : 9782849990971 FORMAT : 17x24 cm Imprimer
Pour parler de soi, il est parfois plus facile de parler dune autre. Cest le sens du travail dÁngel de la Calle, qui réalise un livre tout à fait personnel en même temps quune biographie précise et documentée de Tina Modotti.
Tina Modotti, photographe et révolutionnaire, est une des figures internationales de lentre-deux-guerres de gauche. Née en Italie, cest en Californie et au Mexique quelle saccomplit et sintègre à lintelligentsia : femme libérée, elle pose nue, sassocie au parti communiste, change damant régulièrement. De quoi fâcher la bonne société, qui laccusera du meurtre de Julio Mella, le principal opposant à la dictature cubaine et son dernier homme en date. Expulsée du Mexique, Tina sexile alors en Allemagne, puis en Russie. En tant que petit soldat du communisme, elle participe à des missions qui lenvoient partout en Europe, jusquà la guerre dEspagne à laquelle elle participe activement. La course sarrête en 1942, à nouveau au Mexique, par une mort quÁngel de la Calle imagine volontiers comme un assassinat.
Il y a donc de quoi faire, et on comprend pourquoi le dessinateur, militant et artiste daujourdhui, sest senti fasciné par le destin de cette femme. A travers ce portrait de vingt ans, il peut rendre compte de la lutte des grandes idéologies, dans ses moments les plus forts : montée du fascisme en Allemagne, mort de Trotsky, épuration stalinienne, pacte germano-soviétique
Cest aussi loccasion de dresser la liste des personnalités historiques qui compte à ses yeux, car Tina les a tous rencontrés : Dos Passos, Frida Kahlo, Eisenstein, Aragon
De la Calle fantasme même quelques rencontres de plus, pour pouvoir caser Walter Benjamin ou James Joyce.
A moins de connaissances préalables, on est vite submergé par le poids de cette culture maîtrisée et documentée. Heureusement, le dessinateur noublie jamais les précisions ou les notes de bas de page qui nous permettront de nous repérer.
Mais au milieu de tout ce récit, nous retrouvons aussi des séquences au présent, où lauteur raconte ses recherches, ses rencontres et ses rêveries. Sans doute dabord par souci dobjectivité, de la même façon quil complète le livre par des photographies de Tina, ses planches non retenues, les prologues des éditions originales et une bibliographie. Mais aussi pour souligner la proximité, et peut-être la différence, entre leurs deux pratiques du militantisme.
Tina Modotti na jamais remis en question la ligne du parti. Elle a évolué peu à peu pour devenir une femme dogmatique, même si toujours passionnée. Quitte à dissimuler la vérité sur bon nombre dévénements. Elle a même abandonné la photographie, pour se consacrer à la politique. Ángel de la Calle lui oppose un engagement daujourdhui, plus complexe. Cofondateur dun festival ancré à gauche, il passe un accord avec Pepsi et milite pour la confusion en politique. Surtout, il dessine. Retravaillant ses cases autant que possible par des hachures innombrables ; intégrant à sa bande ses hésitations, ses sources, des tableaux et des citations célèbres, de Grosz à Picasso. Pour bien affirmer que lengagement nest pas incompatible avec la subtilité.
Comme une grande fresque, douloureuse, mais passionnée.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 17/07/2011 ) Imprimer | | |
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