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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Karl Stevens Guilty Ego comme X 2006 / 18 € - 117.9 ffr. / 64 pages ISBN : 2-910946-59-2 FORMAT : 21 x 28 cm Imprimer
Se déroulant sur deux chaudes journées dété aux alentours de Boston, Guilty sattarde sur les retrouvailles imprévues dun couple danciens amants et les heures qui suivent cette rencontre : les hésitations et les désirs sont présents mais aussi une certaine rancur et une envie de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ingrid et Mark auraient pu se rencontrer au musée, puisquils y travaillent tous les deux, lui agent de surveillance et elle hôtesse daccueil ; mais cest à un arrêt de bus que les deux jeunes gens se croisent, un an après leur rupture. Mark est désormais célibataire, et pourrait de nouveau être attiré par Ingrid sans trop se forcer (« Elle a toujours un aussi joli cul », pense-t-il). La jeune femme de son côté a un nouveau fiancé depuis trois mois, le gentil et sans-reproche David, mais elle accepte pourtant linvitation de son ex à aller boire un verre, parce quelle « naime pas être fâchée avec les gens ». La suite de ces aventures du quotidien se prolonge en une drôle de soirée, comateuse et ennuyeuse pour Ingrid, frustrante et difficile à négocier pour Mark, pleine de non-dits et dhypocrisie pour tous.
Premier album dun jeune auteur assurément à suivre, Guilty sapparente à une courte nouvelle, sans chute ni morale, juste la minutieuse captation dun instant de vie, un faux roman-photo qui aurait oublié niaiserie et folle passion pour privilégier les émotions floues, les hésitations du cur et les sentiments tièdes. Karl Stevens signe avec justesse le portrait dune jeunesse aussi dorée quelle peut être terne, entre deux âges comme entre deux eaux, sortant de ladolescence pour vivre en adulte, même si tout nest pas encore tout à fait calé. Ingrid notamment, est un très beau personnage, attachant et vrai, et lon aime la suivre à travers ces planches ; la jeune femme a du charme, un regard franc et souriant mais qui nen dit pas si long sur ses pensées et ses doutes. Karl Stevens utilise et renouvelle là une figure classique de la bande dessinée, les fameuses bulles de pensées, et montre, sans exagération ni caricature, linévitable décalage entre ce qui est dit et ce qui reste silencieux. Naturellement contradictoire donc, Ingrid évolue avec autant de force que dironie sur elle-même et la fin de lhistoire sapparenterait pour elle à un semblant de happy-end si tout nétait fatalement pas aussi cru et amer comme lest la « vraie vie ».
La force de Guilty, au-delà de cette fine attention portée à chacun, saute aux yeux dès que lon feuillette lalbum : Stevens est un dessinateur photographe, un obsessionnel du détail, un graveur reporter. Lartiste dessine daprès les clichés quil prend de ses proches et ce matériau brut donne une vie et une épaisseur à chaque personnage. Mais si lon sent effectivement la photo derrière certaines de ces images, certains gros plans appuyés, limpression dune reproduction trop chiadée pour être honnête nest jamais présente. Stevens procède par fines hachures, ni trop propres ni trop sales, modelant les volumes dune plume sèche et nerveuse, et faisant ressortir au milieu de cette maille profonde léclat dun regard ou le sourire en coin. Labondance de traits envahit la page, et le blanc du papier est peu à peu totalement étouffé par cette profusion de croisillons, ce trop plein qui veut tout montrer. Limpression finale est porteuse dune certaine dureté, celle du regard de Stevens sur les êtres et les choses, et les visages figés dans un rictus ou une pose parfois peu photogénique donnent à lensemble une cruelle et incontournable vérité. De même, la solidarité entre les images évite que la vignette unique ne devienne quune belle étude daprès nature sur laquelle on sattarde un peu trop : on suit ainsi les personnages et leurs actions sans jamais se perdre dans le piège de la contemplation. Stevens ne fait pas dans le joli, mais dans le vrai.
Voilà un style qui demanderait toutefois encore plus de place, plus despace, une histoire au long cours. Stevens, en sattachant aux corps et aux petits riens, en néludant ni les silences ni les événements anodins, se place en effet comme un superbe dessinateur du temps, et si Guilty reste une très belle réussite, lenvie den voir plus et plus longtemps est fortement présente une fois lalbum achevé. Après ce court-métrage, Stevens pourrait à coup sûr trouver encore plus dintensité dans un format long. On est dores et déjà prêt à lattendre.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 11/09/2006 ) Imprimer | | |
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