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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| José Muñoz Carlos Sampayo Carlos Gardel (Première partie) - La voix de l'Argentine Futuropolis 2008 / 16 € - 104.8 ffr. / 64 pages ISBN : 978-2-7548-0015-0 FORMAT : 24,5x31 cm Imprimer
Il y a encore deux ans, ce Carlos Gardel aurait sûrement échappé aux feux de la rampe. Mais le Grand Prix de la Ville dAngoulême, décerné lan dernier à José Muňoz pour lensemble de son uvre, a donné lieu à un regain dintérêt pour son travail, et par ricochet pour son meilleur scénariste, Carlos Sampayo. Le duo argentin, malgré lestime de la critique, navait pas souvent eu les honneurs de la scène ; leur grande série Alack Sinner a donc pu bénéficier dune intégrale qui a au moins le mérite dêtre chronologique, et par laquelle les éditions Casterman ont essayé de faire oublier leurs aberrants recueils précédents. La sortie de ce Carlo Gardel, une toute nouvelle création qui marque aussi leur arrivée (en tant quauteurs de bande dessinée) chez le nouveau Futuropolis, a donc un impact médiatique certain.
Carlos Gardel est un personnage-clef de lhistoire de largentine, lhomme qui a élevé le tango au rang dun art véritable, et qui par sa seule voix a fait de son nom un mythe. Et pourtant, il napparaît déjà plus sous cet aspect aux jeunes générations françaises du vingt-et-unième siècle. Carlos Gardel est un fantôme du passé, et cest un joli destin pour un homme qui incarnait déjà la nostalgie dans ses chansons.
En faisant leur biographie de lartiste, Muňoz et Sampayo ne peuvent donc pas se contenter de faire uvre dhistoriens. Au contraire. Comme ils lavaient déjà fait ensemble pour Billie Holiday, ils confrontent les mémoires : la vie de Carlos Gardel est ici encadrée par les commentaires de deux « spécialistes », qui sattachent tour à tour à tirer le chanteur vers lombre et la lumière, à en faire une légende ou un homme. La question est là, et peu importe la vérité historique de la Voix. Cest dans la réappropriation dun symbole que se pose la question de lalbum.
On retrouve finalement, dans cette histoire, quon aurait pu croire impersonnelle, tous les thèmes chers à Muňoz et Sampayo. LArgentine dabord, le pays lointain, fantasmé par lexil. À travers les récits sud-américains (Nicaragua, Sophie Comics
) et à travers les portraits dexilés (Sudor Sudaca), ils avaient souvent évoqué le décor de leur jeunesse ; mais rarement de front, comme ici. Gardel incarne lArgentine, en même temps que son absence (les Uruguayens et les Français se disputent son origine). Cette histoire est aussi résurgence dun thème cher à Sampayo, celui de lengagement. Gardel oscille entre patrons et socialistes, refusant de choisir, sous le prétexte que lart est au-dessus des contingences humaines. Mais chacune de ses rencontres loblige à se compromettre, et on le catalogue malgré lui. Une neutralité impossible qui rappelle (à lenvers) la culpabilité dAlack Sinner.
Gardel est un homme en creux. Il semble passer sans jamais prêter dimportance à quoi que ce soit, refusant de jouer son identité dans la vie humaine. Cest un contenant sans contenu, un chanteur vide. Le mythe, privé du sens et du contexte.
On se perd un peu, dans cette biographie sans attache, dont lenjeu est de nen admettre aucun. La seule perspective dun meurtre imaginaire vient ajouter du suspense et un horizon narratif. En attendant, on apprécie une narration presque gratuite, des pages superbes où Muňoz étale sa science du noir et blanc, éclatant dombres et de lumières au risque parfois de la confusion.
Ironie, que cet album vienne conclure le couronnement de Muňoz sans Sampayo. Un dessinateur privé de son scénariste, une forme à laquelle, là aussi, on a enlevé le sens. Avec Carlos Gardel, le duo nous prouve que le sens doit revenir, radicalement : puisque selon ses biographes, cest un meurtre qui achèvera lhistoire.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 20/02/2008 ) Imprimer
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