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Pavé impérial
Craig Thompson   Habibi
Casterman - Ecritures 2011 /  24.95 € - 163.42 ffr. / 672 pages
ISBN : 978-2-203-00327-9
FORMAT : 17,2x23,9 cm
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À relire aujourd’hui Blankets, qui avait tant marqué à l’époque, on peut comprendre ce qui avait pu en énervé quelques uns: trop de chichis et pas assez de mordant. À côté des autres auteurs américains tels Joe Matt, Adrian Tomine ou autres Chester Brown, le jeunot Craig Thompson faisait un peu figure de petit gars sympathique mais gentil, trop gentil, de premier communiant dans une assemblée de rigolards. Et pourtant, à relire aujourd’hui Blankets, on réalise encore combien ce livre est important, et comment son côté sentimental et midinette avoué, revendiqué, est au cœur du projet de Thompson et en fait sa force. Quand d’autres cherchent à agresser, lui nous chantait sa bluette un peu niaise et les images qui vont avec n’ont pas cessé de nous marquer.

Ceux qui reprochaient à ce coup de maître une insistante préciosité, trop de détours pour pas grand chose (tout ça pour ça ?) vont pouvoir s’en donner à cœur joie avec ce nouveau livre. Habibi. Plus de 650 planches. Un récit romanesque, épique, grandiloquent, qui en fait certes des tonnes, et qui, comme dans Blankets, peut énerver avec un ton prêchi prêcha et toujours cette satanée culpabilité liée à la sexualité qui n’en finit pas de coller aux planches du dessinateur.

Certes, on n’est pas chez là Jason. Mais l’épure du travail de Thompson est pourtant présente, à un autre niveau : dans la pureté du récit, l’absolue fidélité des sentiments, et ce souffle qui porte sans lassitude ni temps mort toute la fable. Thompson montre que l’on peut définitivement s’affranchir du traditionnel 48 pages pour raconter quelque chose sur la longueur, sans pour autant lasser ou passer pour un mégalo. Il y a une cohérence continue tout au long de Habibi, qui fait que l’ensemble n’est jamais boursouflé ou indigeste. Thompson fait fi du format et des normes, si le récit doit se développer sur plus de 600 pages, il le sera, et de préférence d’un seul bout, et pas tronçonné en 15 tomes moches.

Sensuel, érotique, violent, émouvant, mais aussi déconcertant et déstabilisant, Habibi est une épopée un peu folle. Et lorsqu’on s’y plonge, littéralement, le ravissement est constant. C’est une fresque, une histoire peu commune dans un monde fantasmé, vague dérivé des Mille et Une Nuits. C’est une histoire d’amitié entre deux enfants perdus, dont la solitude commune va inévitablement rapprocher. Et malgré ce postulat de départ un peu simple, ça n’est jamais plat, Thompson a trop de choses à dire pour tomber dans le gnangnan linéaire. Si Blankets était une chanson pop, Habibi serait un film en cinémascope un peu kitsch et désuet avec ses décors grandioses, ses figurants par centaine, ses rebondissements constants, ses aventures spectaculaires et son histoire d’amour forcément tragique. Ces influences orientales, Thompson les adore autant qu’il en joue. Son royaume est fait de carton pâte, et tout n’est pas pris au sérieux : il faut bien respirer entre deux moments d’émotion plus intenses. C’est dans ce continuel jeu entre réel et feuilleton, entre sacré et trivial, que Thompson marque les esprits. Son livre oscille ainsi entre plus que deux eaux, mais tout cela se déploie avec grâce et maîtrise, entrecoupé – comme dans Blankets – de multiples références aux saintes écritures. Au final, on peut s’y perdre un peu, Thompson en dit trop, en fait trop, mais c’est aussi un appel pour s’y replonger, et repérer les mailles d’un récit beaucoup plus serré qu’il n’y paraît.

Et puis il y a ce flot graphique. Cette soif de dessiner, ce trait qui jamais ne s’arrête, virevolte, toujours en quête de nouveaux territoires, de nouvelles pistes, de contrastes, de matières… Thompson est un incroyable dessinateur qui épate à chaque page sans pourtant chercher vraiment à impressionner : tout semble comme évident, facile, et faisant partie du récit. Il n’y a pas une page plus paresseuse qu’une autre, pas un moment où l’on pourrait se dire que l’artiste se lasse. Besogneux et obsessionnel, il peut l’être lorsqu’il s’agit de reproduire les motifs orientaux. Mais avec ça, inspiré, inventif, créatif, jouant continuellement du noir et blanc avec une maestria exceptionnelle. On lui reprochera son lyrisme de diva, ses planches qui n’en finissent plus d’exploser et de tournoyer, de faire d’un rien un grand spectacle pyrotechnique, mais c’est qu’il y a là avant tout l’amour de l’artiste pour son matériau.

On adore Habibi parce que c’est un récit honnête et sensible, à mille lieues de ce que l’on pouvait attendre de Thompson. Blankets 2 ? Pas pour lui, cet auteur à d’autres étoiles dans les yeux, d’autres projets dans la tête. Et s’il énerve autant qu’il passionne on ne peut que voir là la marque d’un immense artiste pour qui le tiède et le moyen n’ont pas lieu d’être. Jamais prétentieux malgré son ambition, impressionnant et passionnant, voici l’un des grands livres de cette année.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 13/11/2011 )
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