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Bande dessinée -> Les grands classiques |
| Raymond Macherot Sibylline (tome 1) - L'intégrale - 1965-1969 Casterman 2011 / 25 € - 163.75 ffr. / 200 pages ISBN : 978-2-203-04630-6 FORMAT : 21,6x28,8 cm Imprimer
Dans la floraison de laprès-guerre belge en bande dessinée, Raymond Macherot a tout de lartisan maudit : des succès mitigés, un travail dans lombre, des dépressions répétitives, une uvre noire qui sen inspire et quon redécouvre en partie après sa mort.
À ceci près que Macherot dessinait des petits animaux, des lérots, des chats, des souris.
À son grand malentendu, on la toujours pris pour un doux rêveur, un poète du dimanche, dont la plus grande qualité, selon Hergé, était de camper le caractère des animaux aussi bien que Walt Disney.
Cétait oublier quil était non seulement un des maîtres de sa génération, mais aussi un satiriste féroce, un peintre cynique, un narrateur désespéré.
Depuis longtemps, les amateurs se plaignaient des mauvaises éditions de Macherot. Alors que Franquin, Peyo, Roba, Will ou Tillieux bénéficient tous de superbes reprises classiques mettant en valeur leur travail, il ny avait toujours pas dédition digne de ce nom pour Sibylline ou Chlorophylle. Casterman, en se lançant dans le patrimoine dit classique, nous propose enfin le recueil tant espéré.
Sibylline, cest la deuxième carrière de Macherot, qui quitte le journal Tintin après dix ans de loyaux services. En entrant à Spirou, il raconte Chaminou et le Khrompire : un royaume dopérette, cadre dun polar animalier bien plus cruel que les bandes Disney de lépoque. La rédaction sémeut de ces cannibales et de ce monde féroce, et voilà Macherot amené à redessiner un décor champêtre. Un point de départ similaire à celui de Chlorophylle, dix ans plus tôt. Mais le dessinateur va vite faire évoluer sa série, quitte à lui faire emprunter de nouveaux chemins.
Dès la scène dintroduction de Sybilline, le ton est donné : Pantoufle, malheureux chat de gouttière, erre dans les rues enneigées à la recherche dun abri et dun peu de nourriture. Quand il trouvera enfin un logis, il devra en conséquence en chasser les souris et devenir le méchant de lhistoire. Ici, pas de manichéisme ou de héros triomphant, mais un ensemble de petites tragédies qui ne se terminent jamais parfaitement bien, une société aux nombreux conflits motivés par un quignon de pain ou une parcelle de territoire.
Ce même regard sombre, on le retrouve quelques pages plus loin, quand le sombre Anathème lève une armée pour conquérir le Bosquet Joyeux. Cest toujours la guerre, comme en 1945, quand Macherot a lui-même combattu.
Ce parti pris réaliste, presque cynique, se retrouve aussi dans le fait de ne jamais revenir au point de départ. Les aventures de Sibylline se suivent dans un feuilleton ininterrompu, quon apprécie pour la première fois dans cette intégrale. On est bien loin des banquets dAstérix ou des couchers de soleil de Lucky Luke. Les héros se contentent de trêves en attendant la prochaine attaque.
On devine aisément que Macherot avait peur de son siècle. Sil centre sa série sur une héroïne, assez tôt dans le paysage de la bande dessinée pour garçons, cest en sappuyant sur un discours anti-féministe, bourré de stéréotypes, où Sibylline est tout sauf un modèle. Bien différentes des autres Sophie, Natacha ou Yoko Tsuno, entreprenantes et aventurières, axées sur la modernité, en tant quhôtesse de lair, électronicienne ou fille dinventeur. Cest tout le contraire pour Sibylline : elle opère un véritable retour à la terre et shabille de frusques paysannes, dans un petit terrier très coquet. Pas de machinerie ici, pas de technologie. Macherot choisit bel et bien le rétro, ce qui lui vaudra sans doute la réputation de doux poète quon attribue volontiers à ceux qui regardent vers larrière.
Partagé entre lenvie de bouger les frontières et la peur du lendemain, il na cessé de faire des va-et-vient dans son uvre : cest sans doute pourquoi elle mérite, mieux que bien dautres, ladjectif intemporel.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 13/11/2011 ) Imprimer | | |
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