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Bécassine, c’est notre cousine !
Bernard Lehembre   Bécassine - Une légende du siècle
Hachette 2005 /  25 € - 163.75 ffr. / 166 pages
ISBN : 2-01-224912-4
FORMAT : 23x28 cm
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C’est un lieu de mémoire à part entière, et pas l’un des moindres : si tout le monde n’a pas forcément lu un album des aventures de Bécassine, rares sont ceux qui ne connaissent pas la silhouette de la petite bonne en coiffe et tenue bretonne. Elle est l’icône d’une certaine France, aussi connue que Marianne (voire plus), au visage moins changeant (en ce domaine, Bécassine s’en est mieux tirée que sa devancière, laquelle s’est souvent vue affublée des traits de telle ou telle star météorique censée incarner la vertu française !). C’est la cousine de Bretagne, que l’on regarde avec un mélange de tendresse et d’ironie gentille. Gaffeuse patentée, naïve et maladroite, elle est aussi patiente, courageuse, toujours serviable et dotée – parfois – de ce «bon sens terrien» qui est l’une des composantes de la réaction à la modernité urbaine. Bécassine, c’est l’anti-moderne par excellence, l’inverse absolu de l’urbain métrosexuel, l’incarnation pacifique de la «terre qui ne ment pas». Or Bécassine a cent ans ! Après un nombre respectable d’albums (28, réédités actuellement), des chansons en français et en anglais, des études littéraires (dans Le magazine littéraire), un film (en 1939), divers objets dérivés et même un dessin animé à sa gloire, cette brave française méritait bien un ouvrage commémoratif ! Ne boudons pas notre plaisir : celui-ci, dû à la plume de Bernard Lehembre, un bon connaisseur, est assez réussi (même si une couverture cartonnée, ou une présentation plus inspirée des albums, aurait été la bienvenue).

Très classiquement, l’ouvrage démarre avec la naissance officielle de Bécassine (née d’une page blanche et imprévue qu’il fallut remplir en quatrième vitesse) un 2 février 1905, dans la toute jeune Semaine de Suzette sous le pinceau de Joseph Porphyre Pinchon, un artiste plutôt spécialisé en peinture animalière (quasi irremplaçable, malgré les tentatives, jusqu’en 1959) et la plume de Jacqueline Rivière (rédactrice en chef, qui cède par la suite les scénarios à Maurice Languereau, neveu de l’éditeur, qui signera Léon Caumery). Le succès est quasi immédiat : Annaïk Labornez – ci-devant Bécassine – un peu godiche et candide, au service de la patiente marquise de Grand-Air, séduit son public de petites filles sages collectionneuses de poupées bleuettes : après 23 semaines, ce fruit du hasard éditorial revient triomphalement et s’impose comme l’une des références de la revue. On peut ainsi la ranger aux côtés d’autres stars (Little Nemo en particulier, qui naît la même année, à quelques mois d’écart) comme une grande devancière de la bande dessine moderne. La seconde naissance de Bécassine a lieu en 1913, avec un premier album. On y découvre L’enfance de Bécassine, à Clocher-les-Bécasses. Du reste, l’attention constante portée à l’histoire du personnage et surtout aux sources d’inspiration de Languereau/Caumery (lequel s’inspire fréquemment de sa propre existence et de son entourage) est l’un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage, éclairant à la fois l’héroïne, l’auteur et son contexte.

Pourquoi un tel succès ? Cette question sous-tend l’ouvrage. De fait, Bécassine a plusieurs atouts : déjà, elle est une des premières héroïnes de bande dessinée d’un magasine destiné aux petites filles, ses histoires sont à la fois drôles (et plaisent aux enfants) et morales (satisfaisantes pour les parents), elle sait épouser son époque et ses aventures suivent assez exactement les sinuosités de l’actualité et de l’évolution de la société française. Ainsi, son «apparition» illustre déjà les complexités de l’exode rural dans une France qui est en train de s’urbaniser et de s’industrialiser. En particulier, Bécassine «teste» les moyens de transports les plus modernes (aéroplane, bobsleigh, voilier…), découvre les vacances, le sport (tennis, golf…) et les bains de mer, et, en général, les prémices d’une société de consommation. Mais elle traverse également les crises, et notamment les crises économiques (l’entre-deux-guerre ampute durablement le patrimoine de la famille de Grand-Air). Bonne française (mais pas chauvine : elle sait critiquer subtilement l’institution militaire quand il le faut), elle participe à la Grande Guerre et finit, autant que Marianne, par incarner la patrie au point d’être l’une des premières victimes de la censure littéraire menée par O. Abetz en 1940 !

Des meetings féministes à la Grande Guerre, du téléphone à l’aviation, Bécassine est aux avant postes de l’histoire et du progrès technique, témoignant du siècle qui s’écoule. On voit même en elle une inspiration pour Françoise Dolto et la pédopsychiatrie (via le personnage de Loulotte). Mais – et c’est le charme du personnage – si Bécassine succombe aux vertiges de la modernité, ce n’est pas sans y laisser des plumes ou des illusions : les lecteurs du livre de M. Lagrée sur les rapports entre modernité technologique et religion (La Bénédiction de Prométhée) auront reconnu en Bécassine une figure connue, celle du «passeur» de découvertes.

Une dernière partie, conclusive, rassemble des Bécassines branchées, relookées par quelques grands noms de la mode : un exercice de style relativement inutile, parfois amusant, mais qui fait office en général de garniture. Qu’on l’habille «grunge», «banlieue», qu’on l’affuble de porte-jarretelles ou d’un physique de top model, cela n’en fait pas une icône de la mode. L’essence de Bécassine est ailleurs, et même, au contraire, dans la résistance à une certaine forme, futile, de modernité. Au final, comme d’autres personnages postérieurs, Bécassine a encore certainement de quoi conquérir un public, qu’il ait 7 ou 77ans, et ce bel album en fait la démonstration.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 18/02/2005 )
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