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Bande dessinée  ->  Adaptation  
 

Exégèse graphique
Robert Crumb   La Genèse
Denoël - Graphic 2009 /  29 € - 189.95 ffr. / 228 pages
ISBN : 978-2207257067
FORMAT : 22x30,5cm
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Il est vrai qu’au premier abord, le livre a de quoi surprendre. Voici le texte intégral de la Genèse adapté en bande dessinée par l’un des papes de la contre-culture et du « comix » underground. Le livre n’a rien d’une parodie, ni d’une relecture ou d’une mise en scène fictionnelle avec création de dialogues et scénario de cinéma à la Cecil B. DeMille. Il s’agit bel et bien des écrits sacrés « simplement » illustrés. Dès lors, plusieurs questions se posent.

D’abord, que vient donc faire Crumb dans cette galère ? Après des années passées à se raconter sous toutes les coutures, à explorer ses vices, à démantibuler la société, à creuser l’horreur urbaine et pleurer les années passées, Crumb se retire ici complètement du devant de la scène. Voilà qu’il laisse la parole à Dieu, ni plus ni moins. Dieu comme scénariste, on a vu pire. Et Crumb comme illustrateur, on aurait aussi pu plus mal tomber. Ce livre est donc d’abord un acte d’humilité. Non pas un acte de croyance ou de foi exagérée – Crumb ne fait que reprendre tel quel un texte mais ne cherche à convaincre personne, encore moins lui-même – mais bel et bien une manière de se coller, avec autant de modestie que de courage, à une pièce de maître, un morceau du patrimoine de l’Humanité. Il y a dans cet exercice de la sagesse, celle d’un homme revenu de tout et qui semble s’assagir. Il y a aussi de l’inconscience, et une prise de risque incroyable.

Comment rattacher cette Genèse à ses autres œuvres ? Le critique commence en effet à se tortiller sur sa chaise. Si ce livre est si différent des autres, et si Crumb met ici de côté son statut d’auteur à part entière, comment diable va-t-on pouvoir faire le lien avec les Mister Natural, Fritz The Cat et autres chef-d’œuvres graphiques passés ? Il s’agirait en fait d’une grossière erreur de vouloir à tout prix chercher dans La Genèse les traces du Crumb d’avant. Certes, Eve a des formes plantureuses et les autres femmes ont ces postérieurs larges et ronds (doublé d’une puissance charnelle incomparable) qu’affectionnent Crumb, mais on est tout de même loin de ces américaines à semelles compensées ou de ces nymphettes dodues qui parsèment les planches du dessinateur.
Tout au plus, au détour d’une note en fin d’ouvrage, on trouve une brève et discrète allusion à quelques thèmes chers. Crumb compare en effet un passage de la Genèse à une histoire de bluesman qui rencontre le diable. Mister Nostalgia n’est plus très loin, les grands mythes rencontrent les petites légendes. Il y a des histoires humaines derrière tout ça. Et c’est sans doute ce que cherche en priorité à montrer Crumb dans son livre.

Se pliant au texte déjà écrit, Crumb ne serait donc qu’illustrateur ? Un simple exécutant ? Pourquoi pas, mais alors pas n’importe quel illustrateur. D’abord, le livre est un pavé de plus de deux cents pages. Quatre années de travail ont été nécessaires à Crumb pour parfaire son livre. Si l’on ne juge pas un ouvrage à sa durée d’exécution, on peut tout de même reconnaître que La Genèse a tout du défi, de l’exercice que le premier dessinateur venu ne serait pas en passe de résoudre. Et Crumb s’en sort à merveille. Il est ici au sommet de son art, parfait maître d’une technique graphique dont il est l’initiateur et qu’il peaufine ici à l’extrême. Le livre serait ainsi un vibrant hommage au dessin. Ce dessin qui a fait de Crumb l’un des plus grands artistes de ces dernières années. L’homme n’a pas son pareil pour figurer des scènes épiques ou des moments de retenue. Son système de hachures et de traits noirs épais élève cette Genèse à des niveaux de lecture insoupçonnés. On pense aux gravures de Doré, et cette même manière de s’approprier un monde déjà familier pour y apposer sa patte. La profusion de détail, de traits, de points envahit le blanc du papier ne laissant plus une parcelle de vide. L’espace est clos, envahi par cette sècheresse noire et dure, ces points sombres, ces ombres. C’est une force primitive, archaïque, qui sort ici du dessin de Crumb. Depuis l’exil de l’Eden, le monde n’a plus rien de paradisiaque. Le dessin, à l’ancienne, à la sueur, à l’artisanale, est au diapason de ces événements brutaux et de ces histoires dramatiques qui fondent un monde. Le goût du détail, la précision des représentations, posent ce texte sacré dans une réalité plus terrienne, plus humaine. La Genèse de Crumb, c’est un monde dur et cruel, pas une sinécure. Les dents se serrent, les corps se tordent. La chaleur blanche assoiffe les terres, les feux brûlent les cieux. Le livre est une somme graphique, comme le texte demeure patrimoine de l’humanité. Et si le dessin ne sublime pas le texte – il n’est pas là pour ça – il lui donne une profondeur encore nouvelle. Pas un simple illustrateur donc, mais bel et bien un artiste, un visionnaire qui place dans chaque vignette une interprétation, un univers.

Crumb est un grand dessinateur certes, mais reste-il un grand auteur de bandes dessinées ? C’est là le dernier point. Il y a d’abord un texte auquel Crumb choisit de se coller sans en changer une virgule, sans en ôter un mot (quelques exceptions confirment la règle, mais l’auteur s’en explique longuement en fin d’ouvrage, explicitant ses choix). C’est alors le monteur qui entre en scène. L’auteur de bandes dessinées qui sait mettre en cases, insister sur un détail, laisser dans l’ombre un événement, découper une action. Et tout le talent de l’auteur est dans sa façon de faire passer comme une lettre à la poste les longues litanies qui parsèment l’ouvrage, ces listes interminables de fils et de descendants et de mères et de pères. Aussi, le pari de Crumb d’illustrer le texte dans son intégralité tient ses promesses. Les instants de vide, les temps morts, les énumérations, les moments devenus mystérieux : tout cela, Crumb en fait sa matière première, ses notes à suivre, élaborant pour chaque phrase une vignette soignée, un portrait peaufiné, une vision. Sa Genèse est pensée, réfléchie et chaque vignette est la conséquence logique de celle qui précède, l’origine évidente de celle qui suit. Les planches, dans leur ensemble, sont belles et expressives, mais surtout elles ouvrent au lecteur, pas forcément toujours très calé sur toutes les subtilités d’un texte vieux comme le monde, des perspectives de lecture étonnantes, des pistes inédites. C’est à une véritable exégèse graphique que s’adonne Crumb, révélant des aberrations, découvrant des passages méconnus et mettant à nu les grands moments du texte.

Le résultat est immense, impressionnant. À la hauteur du sujet, auquel on pourrait d’ailleurs rapprocher un autre livre sorti récemment, qui traite aussi, à sa manière, de la création du monde : le monumental Alpha de Jens Harder. Deux visions, deux univers, et la bande dessinée comme grande gagnante.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 08/12/2009 )
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