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Bande dessinée -> Humour |
| Laurent Gerra Achdé L’Homme de Washington - Les Aventures de Lucky Luke, d’après Morris (tome 3) Dargaud 2008 / 9.25 € - 60.59 ffr. / 48 pages ISBN : 978-2884-71239-2 FORMAT : 23x30 cm Imprimer
Nous sommes en 1876, année délections aux États-Unis dAmérique. Face au démocrate Samuel Tilden, lintègre Rutherford B. Hayes a été désigné pour représenter le camp républicain. Malheureusement, un certain Perry Camby, fils à papa texan soutenu par les lobbies pétroliers (ça vous rappelle quelquun ?), est prêt à tout et surtout au pire pour évincer le candidat légitime.
Malgré les menaces qui pèsent sur sa sécurité, Hayes se lance dans une grande tournée électorale à travers lOuest américain. Le Sénat charge Lucky Luke dassurer sa protection...
Il faut bien reconnaître une qualité à Laurent Gerra et Achdé : depuis quils ont repris en main la destinée du personnage de Morris, chacune de leurs histoires repose sur une idée meilleure que la précédente. Après avoir envoyé Lucky Luke au Québec (« La Belle Province »), puis inventé un prétexte amusant pour marier les Dalton (« La Corde au cou »), ils font du cow-boy solitaire le garde du corps de « LHomme de Washington » ; cest-à-dire le futur président des États-Unis.
Ce point de départ est astucieux : le thème de la vie politique au Far West navait jamais été abordé par Morris et ses scénaristes, alors quil a tout à fait sa place dans la série. Achdé et Gerra ont également fait le bon choix en sintéressant à Rutherford B. Hayes. Retenu par lHistoire comme un président progressiste et honnête (donc digne de la protection de Lucky Luke !), ce personnage est en outre associé à une anecdote amusante : issu dune famille de brasseurs de whisky, il épousa une fervente buveuse de limonade qui fit interdire lalcool à la Maison Blanche...
Hélas, tel un politicien fraîchement élu, lalbum ne tient aucunement ses promesses. Le scénario, quont co-écrit Gerra et Achdé, nest rien de plus quune compilation didées et de péripéties chipées dans les épisodes précédents.
Comme cétait déjà le cas depuis « La Belle Province », certains gags (pour ne pas dire la plupart) sont repris verbatim des albums de Goscinny : citons par exemple le concert dinvectives auquel se livrent les très distingués sénateurs (« Les Collines noires »), ou bien les affiches collées sur le flanc des vaches (« LÉvasion des Dalton »). De même, chaque séquence renvoie plus ou moins directement à une (ou plusieurs) aventure(s) passée(s). Jolly Jumper lui-même finit par sen étonner, alors quil traverse une vignette tout simplement décalquée dans « La Diligence » : « Jai limpression bizarre davoir déjà vécu ça ! ». Par ailleurs, lintrigue de « LHomme de Washington » est un croisement entre celles du « Grand Duc » (Lucky Luke escorte un « pied-tendre » à travers lOuest sauvage) et de « La Caravane » (un groupe dindividus, parmi lesquels un traître, parcourt un itinéraire semé dembûches).
Bien sûr, le « road movie » est une sous-catégorie à part entière dans la série : « La Caravane », « La Diligence », « Le Fil qui chante », « Sarah Bernhardt », « La Fiancée de Lucky Luke », sont autant de variations sur un schéma similaire, reprenant les mêmes poncifs (la présence dun saboteur, la traversée du désert, lattaque des Indiens) ; « LHomme de Washington » sinscrit logiquement dans cette continuité. Cependant, Goscinny et ses successeurs avaient su réinventer la recette à chaque utilisation, et donner à chaque album son identité propre, notamment en sappuyant sur un fil conducteur toujours différent et suffisamment fort. Ici, Gerra et Achdé se contentent de cataloguer les passages obligés ; ils oublient en chemin de bâtir une intrigue solide et de traiter correctement leur sujet.
Au « déjà-lu », le dessinateur superpose le « déjà-vu ». Au détour des pages, les fidèles de la série reconnaitront telle ou telle figure connue (le « Chasseur de primes » Elliot Belt et le joueur de poker de « La Diligence », apparaissent fugitivement), ou moins connue (un desperado déjà croisé dans « LEscorte » ; limprimeur de « Billy the Kid » ; le banquier mexicain de « Tortillas pour les Dalton »... la liste est encore longue). Quelles soient ou non destinées à être remarquées par le lecteur, on ne voit pas bien lintérêt de ces nombreuses citations.
Lhumour, comme toujours avec Gerra, est au ras des pâquerettes. Lhumoriste multiplie les calembours faciles, croyant sans doute que cela le rapproche de Goscinny (à tort, puisque le génial scénariste réservait cette facette de son talent à Astérix et Iznogoud, mais passons). Lunique running-gag de lalbum (Hayes essaie de boire de lalcool en cachette de sa femme, mais les circonstances len empêchent), quoique bien trouvé, est remarquablement mal exploité et tombe à plat systématiquement. Tout est lourd, trop appuyé ; ainsi, cette scène où un personnage dorigine germanique, nommé Berlin, constate que le mur de son jardin vient dêtre détruit. « Gross malheur ! Mon mur est tombé », se lamente linfortuné Teuton. « Calme-toi, Berlin », lui rétorque son voisin. Au cas où certains lecteurs, à ce stade du dialogue, nauraient pas bien saisi lallusion, la suite vient tout éclaircir : « Le mur de Berlin est tombé ». Si les BD avaient du son, on aurait été bon pour les rires enregistrés. Peut-être est-ce là ce que Gerra et son complice considèrent comme un double niveau de lecture ?
Lalbum regorge de ces clins dil grossiers, dont le plus notable est la présence parfaitement inutile de George W. Bush. Le goût de Morris pour les caricatures leur servant dalibi, Achdé et Gerra peuvent sen donner à cur joie. Mais là où le créateur de Lucky Luke se contentait de confier certains rôles (écrits par le scénariste sans intention particulière en ce sens) à des acteurs connus (David Niven en professeur de bonnes manières, Michel Simon en imbécile sympathique...), Achdé et Gerra mettent les pieds dans le plat, sans aucune subtilité, en donnant à chaque célébrité son propre rôle : Bush joue Bush, les acteurs des Mystères de lOuest jouent les personnages des Mystères de lOuest, Marc-Olivier Fogiel joue un journaliste people... Quel manque dimagination ! On nest plus dans le jeu des caricatures, mais dans celui des références, infiniment plus lourd ; surtout à forte dose.
« LHomme de Washington » est un devoir délèves appliqués mais médiocres. Achdé et Gerra semblent croire que la recette de Lucky Luke se limite à quelques gimmicks : un personnage historique, une scène de saloon, une attaque dindiens, des caricatures de célébrités, et une vignette à fond rouge de temps en temps. Or, il manque à cette liste les ingrédients les plus importants : lintelligence, la finesse, lélégance du trait... En labsence de ces qualités, les nouvelles aventures de Lucky Luke ne pourront satisfaire quun public bien peu exigeant.
Michaël Bareyt ( Mis en ligne le 02/02/2009 ) Imprimer
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