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Bande dessinée -> Humour |
| François Ayroles Une affaire de caractères Delcourt 2014 / 14.95 € - 97.92 ffr. / 72 pages ISBN : 978-22-7560-4137-7 FORMAT : 24x32 cm Imprimer
Des meurtres sont commis au village de Bibelosse. Linspecteur Edgar Sandé sefforce de résoudre le mystère, sans se laisser contaminer par la folie de ces habitants tous plus originaux les uns que les autres.
Tout au long du vingtième siècle, les maîtres de la ligne claire ont érigé le dogme de lefficacité comme un des piliers de la bande dessinée. Le risque qui en découle, cest celui de la froideur, de lartifice. Sur la fin, les récits de Will Eisner avaient un côté théâtral dont pâtissaient aussi les dernières planches de Jacobs ou de Jacques Martin. Cest la rançon de lefficacité, le tribut à payer pour quun trait se transforme en signe. Dans Une affaire de caractères, François Ayroles cultive toujours plus cette immobilité, traduite par des dessins pondérés aux couleurs peu nombreuses. On a sans cesse limpression que ses personnages prennent la pose, quils déclament plus quils ne jouent la comédie, à la manière des acteurs de Rohmer. À sa façon, Ayroles prend le relais de la ligne claire, mais sous la forme dun hommage ludique.
On se souvient de LAlphart, cet album posthume dans lequel Hergé avait imaginé un artiste médiatique nommé Ramo Nash, créateur de grandes lettres en trois dimensions dun goût douteux. Les planches inachevées laissaient Tintin en mauvaise posture, sur le point dêtre statufié et transformé en art mort. Ici, le personnage de François Ayroles sappelle Ramon Hache, et il sagit à la fois de la même histoire et dune autre. Une autre, parce que les lettres sont désormais sur le devant de la scène : la ville de Bibelosse est peuplée dune communauté décrivains qui passent leurs temps à faire des anagrammes, des monovocalismes ou des batailles de rimes. Mais la même, car on y retrouve le grand thème sous-jacent de LAlph-Art, léquilibre fragile entre art mort et art vivant.
Les fâcheux, ici, sont représentés par deux équivalents de Séraphin Lampion et du professeur Tournesol. Le premier multiplie les formules toutes faites et les pensées usées, sous couvert de transmission dinformations. Le second a inventé une machine capable de remplacer lécrivain dans lécriture dun schéma narratif. Il y a ceux qui veulent enfermer les lettres dans des systèmes ; et puis il y a les véritables créateurs, les habitants de la ville qui professent la passion des mots et le jeu des contraintes.
Bien sûr, malgré la critique des marchants du temple, François Ayroles signe surtout une grande déclaration damour au monde du livre. Une lettre peut tout changer, comme ce H (celui de Hergé, celui de Ramon Hache ?) qui transforme une PROPRETE en PROPHETE, et fait dun agent dentretien un illuminé digne de Philippulus. Souvrent ainsi le grand champ des possibles, linfinité de lécriture et du dessin. François Ayroles est en tête de la brèche, et il défriche de nouveaux terrains riches de promesses.
Écrivains, typographes, bibliophiles et amateurs de belles lettres samuseront comme des fous à la lecture de ce livre, catalogue de clins dil qui prennent souvent la forme de contraintes oulipiennes et oubapiennes. Au hasard des pages, on reconnaît les traces du capitaine Haddock, du général Alcazar, de Edgar P. Jacobs, mais aussi dAgatha Christie, de Perec et de Lautréamont. On sefforce de deviner les astuces en sachant quon en rate sans doute certaines. Cest un régal didées à découvrir tout en suivant la trame dune énigme véritable. Une affaire de caractères tient la porte ouverte de la bibliothèque.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 05/05/2014 ) Imprimer
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