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Les silences du grand écrivain | | | Alexandre Franc Régis Debray Cher Régis Debray - Une correspondance dessinée Futuropolis 2013 / 17 € - 111.35 ffr. / 96 pages ISBN : 978-2-7548-0961-1 FORMAT : 19,5x26,5 cm Imprimer
La rencontre avec le grand écrivain est un genre assez couru en France
mais en bande dessinée, il est nettement moins pratiqué, et pour cause. Cest pourtant lexercice, fort sympathique, auquel se livre Alexandre Franc (Les Autres Gens), décidé à se confronter à une silhouette bien particulière, celle de Régis Debray. Debray, cest une certaine histoire de la gauche, ou alors lhistoire dune certaine gauche, qui voit un jeune normalien philosophe partir rejoindre Che Guevara en Bolivie (mauvaise pioche), faire de la prison après sa capture puis rejoindre Mitterrand à lElysée pour le conseiller, tout en écrivant quelques forts ouvrages qui linstallent finalement à lacadémie Goncourt. Un notable des lettres, à qui la moustache sert détendard, et qui, un jour, laisse échapper lidée dune collaboration en BD. Alexandre Franc attrape la balle au bond et entame une coopération un rien bancale, à coup de lettres, de rencontres de pages blanches et de réflexions. Car le grand homme ne se laisse pas facilement mettre en case, même sous une forme féline. Alors le dessinateur doit être un peu un guide, laisser parler les idées, les images, provoquer son sujet pour engager la conversation, se raconter plus quil ne raconte son sujet. Et au hasard de cette conversation aussi séduisante que décousue, on parle sentiment national, patriotisme, histoire, culte du corps, complexes
Dans une certaine mesure, Debray se fait à la fois psychologue et philosophe, disserte sur les dessins autant que sur lui-même, joue gentiment au chat et à la souris avec lauteur.
Le résultat est donc séduisant et intrigant : séduisant du fait dun graphisme simple, sobre, faussement naïf, où Alexandre Franc laisse parler son imagination et multiplie les références en forme dhommage (Hergé, Fred), joue de son imaginaire pour mettre en scène des péripéties dignes de Little Nemo : promenade au Panthéon ou dans une fresque coloniale, exercices dans une école de la IIIe république ou errance image connue dans un sarcophage perdu en mer. Pas de couleurs, des personnages qui se transforment en métaphore, un décor minimaliste esquissé, où les cases elles-mêmes disparaissent peu à peu. La matière du rêve, précise et informe à la fois. Aidé dun guide en Debrayerie (un autre Régis, à lenthousiasme communicatif), lauteur traverse des pages baroques, sans forcément de cohérence, mais qui ont le charme dun joli songe éveillé et dune conversation inspirante. Régis Debray est certes un peu en retrait, prétexte à une rêverie plutôt que véritable coauteur, mais quimporte, le sujet nest plus là, il est dans ce tête-à-tête entre lauteur et lui-même. Un bel album, à conseiller non seulement aux amateurs de Régis Debray ici dans son rôle de philosophe, cest à dire daccoucheur mais plus largement à tous ceux qui aiment ségarer, un moment dans les livres pour y rêver éveillé aux mystères de la nation. Pétillant et original.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 29/09/2013 ) Imprimer
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