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Aux origines de la science-fiction | | | Lucien de Samosate Voyages extraordinaires - Edition bilingue français-grec Les Belles Lettres - Classiques en poche 2009 / 13 € - 85.15 ffr. / 476 pages ISBN : 978-2-251-80001-1 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après Alexandre ou le faux prophète (2001) et Portraits de philosophes (2008), la collection «Classiques en poche» des éditions des Belles Lettres sort un troisième volume des uvres de Lucien, intitulé Voyages extraordinaires et comprenant les textes suivants : Avant-propos ou Dionysos, Sur lambre ou sur les cygnes, Histoires vraies A et B, La traversée ou le tyran, Icaroménippe, Charon ou les observateurs (textes établis et traduits par Jacques Bompaire), Ménippe ou la consultation des morts, Sur les dipsades, Dialogues des morts (textes traduits et annotés par Anne-Marie Ozanam, qui a rédigé aussi les notes et lintroduction générale).
Lauteur, Lucien, est né à Samosate, petite cité de Commagène (aux frontières de la Turquie et de la Syrie actuelles), vers 120 ap. J.-C., dans une famille probablement modeste. Il sut cependant se cultiver et voyagea tout autour de la Méditerranée, menant une activité de conférencier et sintégrant dans le mouvement de ce quon a appelé par la suite la seconde sophistique. Vers lâge de quarante ans, il se fixa à Athènes, qui était pour lui la patrie de la culture, mais se rendit aussi en Orient et en Egypte. Il mourut peu après 180 ap. J.-C.
Malgré ses nombreux voyages, il sen tient le plus souvent, dans ses descriptions de contrées étrangères, à des clichés et des notations livresques, bien éloignées de tout réalisme. On a même souvent limpression que Lucien est déçu par la réalité, bien trop prosaïque à ses yeux. Ainsi, dans Sur lambre ou sur les cygnes, il raconte sa déception naïve et presque enfantine de ne pas trouver de peupliers noirs, dambre et de cygnes au chant mélodieux sur les bords de lEridan, contrairement aux affirmations des poètes. Cest donc par le fantastique que Lucien prend sa revanche sur le réel, transgressant les lois naturelles dans certaines de ses descriptions. Il nous livre des jeux dérudits et des énigmes littéraires, faisant référence à de nombreux auteurs vénérables, en premier lieu Homère. Comme Plutarque, il est un passeur entre la Grèce et Rome, mais il met beaucoup plus laccent sur le pittoresque et lhumour, y compris dans ses descriptions du monde des morts, qui sont bien souvent plus comiques que lugubres.
LAvant-propos ou Dionysos est un court texte appartenant au genre de la prolalia (bavardage préliminaire ou prologue). Il se compose de deux parties : un épisode mythologique (la conquête de lInde par Dionysos) ; le retour à lauteur lui-même qui se trouve stimulé par cette évocation : lallusion à la fontaine de Silène, qui rend ivres de bavardages tous les vieillards, lui permet ainsi de justifier sa prise de parole et ses éventuels débordements. Sur lambre ou sur les cygnes appartient au même genre littéraire. La première partie fait référence aux peupliers noirs, à lambre et au chant des cygnes dans la mythologie de lEridan. La seconde partie revient à Lucien lui-même : on a dit beaucoup de bien de son art, mais peut-être nest-ce quun mensonge ou une illusion ; lauditeur sera peut-être aussi déçu que le visiteur qui ne rencontre que de rustres pêcheurs ne connaissant pas lambre et les cygnes. La troisième prolalia de ce recueil, Sur les dipsades, fait référence à des serpents venimeux et mortels hantant une contrée lointaine et exotique, et dont le venin fait éprouver à leurs victimes une intense et atroce sensation de soif. Lauteur fait le parallèle entre ce phénomène et sa situation dorateur : jamais Lucien ne sera désaltéré de son désir dêtre applaudi et reconnu.
Le titre des Histoires vraies est particulièrement ironique, puisque Lucien y annonce dès louverture quil ne proférera que des mensonges «variés». On a pu écrire quil sagissait du premier récit de science-fiction de la littérature occidentale, mais en fait il sinscrit dans toute une tradition qui remonte aux mensonges et aux récits dUlysse dans lOdyssée, avec également des références à Aristophane, Hérodote ou Ctésias de Cnide. Le ton général est néanmoins celui de la parodie et du pastiche, où la fantaisie domine. LIcaroménippe met en scène le philosophe cynique Ménippe de Gadara (ou de Sinope), transformé par Lucien en un véritable personnage de fiction. Il effectue un voyage dans lespace avec une halte sur la Lune, qui précède larrivée au Ciel proprement dit. Lucien sen prend en fait ici aux prétentions des philosophes, à leur hypocrisie et leur cupidité.
La Traversée ou le tyran prend une forme dialoguée et fait intervenir Charon, la Parque Clotho et Hermès, le dieu psychopompe, aux prises avec le tyran Mégapenthès dont le sort outre-tombe nest guère plus enviable que celui du savetier Micylle. Cyniscos, qui ne peut payer Charon, joue quant à lui de son bâton et de la rame. La portée de ce texte est avant tout morale, mettant laccent sur la vanité des richesses, les tourments des tyrans, et faisant léloge de la pauvreté et de la philosophie. Dans Charon ou les observateurs, le batelier des Enfers monte sur terre, puis, entassant les montagnes avec laide dHermès, il observe den haut la petitesse des cités humaines. Dans Ménippe ou la consultation des morts, Lucien sinspire probablement dun ouvrage du véritable Ménippe sur le même sujet (la Nékyia). Les Dialogues des morts constituent sans doute lun des ouvrages les plus célèbres de Lucien. Les dialogues y sont extrêmement variés : textes dinspiration scolaire où interviennent des grands hommes (Alexandre) ou des héros mythologiques (Tantale, Achille, Ajax, Agamemnon, Protésilas, Nirée ou Thersite) ; mises en scène de Ménippe (encore !), mais aussi de «types de comédie» (parasite, capteur dhéritage, avare, soldat fanfaron
). Le texte le plus étrange est peut-être celui qui met en scène le Centaure Chiron, ayant choisi de mourir pour trouver «du nouveau», et découvrant que même la mort peut être ennuyeuse.
Latmosphère comique domine dans cette uvre qui a donné lieu à un nouveau genre littéraire, inspirant des auteurs aussi divers que Rabelais, La Fontaine ou Voltaire. Les Histoires vraies ont quant à elles influencé Thomas More, Cyrano de Bergerac ou Jonathan Swift, et, plus indirectement au XXe siècle, de nombreux auteurs de science-fiction.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 26/05/2009 ) Imprimer | | |