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Une antiquité bien contemporaine | | | Claude Aziza Guide de l'Antiquité imaginaire - Roman, cinéma, bande dessinée Les Belles Lettres 2008 / 17 € - 111.35 ffr. / 299 pages ISBN : 978-2-251-44354-6 FORMAT : 13,5cm x 21cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Claude Aziza, maître de conférences honoraire de langue et littérature latines à lUniversité de la Sorbonne Nouvelle (Paris III), sest spécialisé dans létude des fictions contemporaines sur lAntiquité, sintéressant par exemple aux films et à la bande dessinée autant quaux romans historiques. Il a ainsi par exemple édité des recueils sur Pompéi (Presses de la Cité, 1992), Carthage (Presses de la Cité, 1993), Jérusalem (Omnibus, 1994) ou encore la Crète minoenne (Omnibus, 1995), sans parler de ses nombreux articles dans la revue de vulgarisation LHistoire.
Il nous offre aujourdhui un guide de cette «Antiquité imaginaire», que lon peut considérer comme une synthèse de ses recherches. Après avoir rappelé dans un prologue que lAntiquité a inspiré les arts et les lettres au Moyen-Âge et à lépoque moderne, il propose successivement un panorama par genre dans les trois premières parties consacrées au roman historique, au cinéma et à la bande dessinée , puis une analyse plus thématique et chronologique de la quatrième à la septième partie, sintéressant successivement à la mythologie et aux lieux mythiques, à la Grèce et au monde grec, à la République romaine, puis à lEmpire.
La première partie souvre sur le genre le plus ancien, celui du roman, qui se développe avec la vague romantique dès le début du XIXe siècle. Les Martyrs de Chateaubriand (1809) apparaissent ainsi comme la contrepartie fictionnelle de son essai sur Le Génie du christianisme (1802). Bulwer-Lytton ressuscite avec Les Derniers Jours de Pompéi (1834) lancienne cité ensevelie sous les cendres du Vésuve. Le grand Alexandre Dumas lui-même sessaye au roman antique avec Acté (1839), tandis que le cardinal Wiseman écrit en 1854 Fabiola ou lEglise des catacombes. Deux ans plus tard, J.H. Newman, théologien anglican converti au catholicisme, livre sa propre fiction exaltant les martyrs avec Callista, bien avant le militantisme chrétien du Quo Vadis ? de Sienkiewicz, qui commence à être publié en feuilleton en Pologne à partir de mars 1895, ou du fameux Ben Hur de Wallace (1880), où le prince juif héros du roman, après sêtre vengé de son ancien ami, le Romain Messala, finit par rencontrer lamour et la révélation divine, assistant même à la Crucifixion. Théophile Gautier, avec son Roman de la momie (1857), dissuade Flaubert de sinspirer de lEgypte, et le conduit, avec Salammbô (1862), sur les traces de lancienne civilisation punique. Le père dEmma Bovary sintéresse aussi aux débuts du christianisme avec le dernier et le plus important des Trois Contes, Hérodias (1877). Au début du XXe siècle, Freud est marqué par la lecture dune nouvelle de Jensen, Gradiva, fantaisie pompéienne (1903). Dautres récits montraient, avant la lettre, une manifestation troublante de linconscient, comme La Vénus dIlle (1837) de Mérimée. Les mémoires fictifs de personnages de lAntiquité donnent lieu à des romans majeurs : la trilogie Moi, Claude de Robert Graves (qui commence en 1934) et surtout les Mémoires dHadrien de Marguerite Yourcenar (1951).
La deuxième partie est consacrée au cinéma, un genre qui sadresse dès lorigine à un large public populaire. Claude Aziza fait un sort au terme «péplum», souvent employé de manière péjorative. Il nest apparu que vers les années 1960, en France, sous la plume de quelques cinéphiles, dont le futur réalisateur Bertrand Tavernier, par imitation de lexpression «film à costumes» désignant les films historiques. Claude Aziza préfère employer, quant à lui, lexpression de «film à lantique». Le genre apparaît dès la naissance du cinéma, avec le très court (moins dune minute) Néron essayant des poisons sur un esclave (G. Hatot, production Lumière, 1896). On sent dans ces premiers films toute linfluence de la peinture pompier alors fort en vogue. Le cinéma italien a ensuite exalté Rome, non sans arrière-pensées nationalistes. Sont également adaptés à lécran les grands romans historiques du siècle précédent, des Derniers Jours de Pompéi à Quo Vadis ? en passant par Ben Hur ou Fabiola. LAntiquité biblique nest pas oubliée, mais triomphe surtout après la Seconde Guerre mondiale : en 1949, Cécil B. De Mille livre une quatrième version de Samson et Dalila, avant datteindre la consécration avec Les Dix Commandements (1956). H. King réalise David et Bethsabée en 1951, tandis que K. Vidor tourne en 1959 Salomon et la Reine de Saba. LAntiquité judéo-chrétienne est aussi une source dinspiration, à la fois pour F. Zeffirelli (Jésus de Nazareth, 1977) et P. P. Pasolini (LEvangile selon Saint Matthieu, 1964), mais aussi dans les parodies des Monty Python (La Vie de Brian, 1979) et de M. Brooks (La Folle Histoire du Monde, 1981) ; elle provoque même la polémique avec La Dernière Tentation du Christ de M. Scorcese (1988). Le cinéma sinspire également beaucoup de la mythologie gréco-romaine. Les Travaux dHercule de P. Francisci (1957) est le premier film à exalter le demi-dieu auquel S. Reeves prête ses traits. Les aventures dUlysse, Hélène ou Achille font également lobjet de films, sans parler des réalisations de P. P. Pasolini (Médée, dipe-Roi) ou de M. Cacoyannis (Iphigénie, Electre, Antigone, Les Troyennes). César et Cléopâtre apparaissent également comme les héros de nombreuses productions (notamment celles de Mankiewicz), de même que Spartacus (incarné par K. Douglas dans le film de S. Kubrick). On voit apparaître à partir des années 1970 une déferlante érotique, dont le Caligula de T. Brass (1977) donne le coup denvoi. Le genre du film à lantique ressuscite dans les années 2000 avec le succès du Gladiator de Ridley Scott (2000), puis Troie de W. Petersen (2004), Alexandre dOliver Stone (2005) ou 300 de Z. Snyder (tiré de la BD homonyme de F. Miller, 1993), sans parler des deux saisons de la série télévisée Rome (2006 et 2007).
La troisième partie traite de la bande dessinée, genre qui a vu le jour presque en même temps que le cinéma à la fin du XIXe siècle. Longtemps méprisée, elle peine à simposer comme art et comme outil pédagogique, et connaît surtout un grand développement après la Seconde Guerre mondiale. En 1948, Alix fait son apparition dans le journal Tintin ; onze ans plus tard, cest le tour de son compatriote comique Astérix dans Pilote. Les Gaulois inspirent dautres uvres, comme la série Vae Victis, inaugurée en 1991. Dautres ennemis des Romains connaissent aussi une fortune dans lunivers de la BD, à linstar du roi numide Jugurtha ou de Spartacus. LEgypte est également une importante source dinspiration (Papyrus, Les Héritiers du Soleil, Kéos...), de même que la Bible. La mythologie grecque nest pas en reste, se prêtant même au comique animalier avec Socrate le demi-chien (Sfar et Blain, 2003 et 2004). Cependant, Claude Aziza oublie curieusement la belle série LÂge de Bronze (Shanower ; 3 volumes parus depuis 2004), consacrée à la guerre de Troie, de même que les mangas japonais Les Chevaliers du Zodiaque. LAntiquité romaine donne parfois lieu à des adaptations un peu lestes (Les Sorcières de Thessalie de Pichard en 1985, et La Métamorphose de Lucius de Manara en 1999, albums inspirés de LÂne dor dApulée, bien que le dernier reprenne de nombreux éléments iconographiques du Satyricon de Fellini) ; mais les éloges abondent sur la série Muréna qui a pour véritable héros lempereur Néron.
Les quatrième, cinquième, sixième et septième parties de louvrage ont une structure très différente des trois premières. Elles se présentent comme un répertoire des ressources fictionnelles aujourdhui accessibles, classées par thèmes (De lAtlantide à lOlympe, dAthènes à Alexandrie, de Romulus à Auguste, dAuguste à Romulus Augustule). Chaque thème se présente de la même manière : sur la ou les pages de gauche, quatre rubriques listent les romans, les films et les bandes dessinées qui y sont associés ; une rubrique «Lessentiel» présente une courte bibliographie permettant daller plus loin sur le sujet. Sur la ou les pages de droite, un texte présente un des aspects du thème, un roman, un film ou une BD. La recherche de références dans le livre est facilitée par la présence de cinq index (personnages, îles et cités antiques, antiqua realia, démons et merveilles, films catastrophe).
Ce guide utile et original est lun des rares ouvrages sur ce sujet, au confluent de lhistoire ancienne et de lhistoire culturelle contemporaine. Les études universitaires sur la référence antique dans ces fictions des XIXe, XXe ou XXIe siècles commencent néanmoins à se développer, y compris concernant des genres comme le manga ou le dessin animé.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 29/09/2009 ) Imprimer | | |