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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Des présocratiques aux soufis
Peter Kingsley   Empédocle et la tradition pythagoricienne - Philosophie ancienne, mystère et magie
Les Belles Lettres - Vérité des mythes 2010 /  35 € - 229.25 ffr. / 500 pages
ISBN : 978-2-251-32457-9
FORMAT : 15cm x 21,5cm

Traduction de Grégoire Lacaze

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

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Après Dans les antres de la sagesse : études parménidiennes, publié en 2007, les éditions des Belles Lettres livrent, dans la même collection, la traduction française d’un autre ouvrage majeur de Peter Kingsley, spécialiste de philosophie antique présocratique. Ancient Philosophy, Mystery and Magic : Empedocles and Pythagorean Tradition, édité en 1995 chez Oxford University Press, n’est donc disponible pour un public francophone que quinze ans après sa publication originale.

On retrouve dans cet ouvrage la même critique de la recherche traditionnelle sur la philosophie présocratique que dans celui sur Parménide, traduit plus tôt en français, bien que postérieur (1999). Le professeur honoraire de la Simon Fraser University au Canada et de l’Université de New Mexico renouvelle complètement ici l’approche d’Empédocle. Il met en garde contre les lectures anachroniques qui ont consisté à lire cet auteur à travers le prisme platonicien et le prisme aristotélicien. Il est ainsi essentiel de replacer les fragments d’Empédocle dans leur contexte originel, où la philosophie n’est pas d’abord conçue comme une entreprise rationnelle, mais plutôt comme un mode de vie où la pensée est étroitement liée à la mythologie, aux mystères et à la magie. Empédocle, né vers le début du Ve s. ap. J.-C. à Acragas (la moderne Agrigente en Sicile), semble avoir beaucoup utilisé en effet la poésie pour communiquer son enseignement, qui ne subsiste que sous forme de fragments conservés dans les textes d’auteurs postérieurs. On se pose encore la question de savoir si l’on a dans ces fragments un seul poème d’Empédocle, ou bien deux : l’un cosmologique, s’adressant à un de ses disciples ; l’autre centré sur le thème de l’impureté et de la purification, s’adressant au public plus large de sa propre cité. Empédocle semble avoir eu également des liens avec le pythagorisme ancien.

La première partie, «Philosophie», débute avec l’exposé de la théorie des quatre éléments (air, eau, terre, feu) qu’Empédocle est apparemment le premier à avoir exprimée en Occident. Il semble avoir développé l’idée d’un cycle cosmique dans lequel les quatre éléments sont alternativement mélangés les uns aux autres par la force de l’amour, et séparés les uns des autres par la force de la haine ou du conflit. Chacun des éléments, ou «racines», est identifié à un dieu, et Kingsley plaide, contre des identifications jusque-là bien établies, pour l’identification de Zeus à l’air (ou plutôt à l’éther), de Héra à la terre, de Nestis (une variante italiote de Perséphone) à l’eau, et d’Hadès au feu. Il justifie cette dernière identification par la croyance en un feu infernal et souterrain, compréhensible dans une Grande Grèce où le phénomène volcanique est particulièrement présent.

La deuxième partie, «Mystère», nous fait descendre dans les enfers étranges et labyrinthiques de la mythologie et du mystère. Peter Kingsley relie la géographie mythique des Enfers du Phédon de Platon (œuvre qui semble empreinte d’une large influence pythagoricienne, voire orphique, peut-être par l’intermédiaire d’Archytas de Tarente) – avec leur Tartare et leurs fleuves d’eau ou de feu, comme le Pyriphlégéthon – à la géographie réelle de la Sicile et de la baie de Naples – avec leurs volcans, leurs feux souterrains et leurs sources thermales. Il développe la théorie d’un feu central, identifié au Tartare infernal, dans la cosmologie empédocléenne.

La troisième partie, «Magie», laisse entrevoir un monde étrange de magie et d’irrationnel. Car Empédocle est envisagé plus comme un mage que comme un philosophe rationnel. N’affirme-t-il pas en effet qu’il est immortel, qu’il a transcendé l’humaine condition et qu’il est capable, grâce à ses pouvoirs mystiques ou occultes, de libérer les hommes et les femmes de leurs souffrances mortelles ? Il prétend aussi être capable de contrôler le temps et la pluie, voire de ramener de l’Hadès la force vitale d’un mort, à la manière d’un chaman. Sa disparition dans le cratère de l’Etna peut être interprétée comme une forme d’apothéose, et sa sandale de bronze recrachée par le volcan peut être envisagée comme un signe d’Hécate, déesse médiatrice entre ce monde et les Enfers, en lien avec les mystères de Perséphone. Un parallèle intéressant est ainsi offert, selon lui, par les papyri magiques d’Egypte. La légende de la mort d’Empédocle résonne avec des tonalités héroïques, dessinant le schéma initiatique d’une mort rituelle, d’une descente aux Enfers, et d’une régénération qui est aussi une transformation. Peter Kingsley défend aussi l’idée d’une continuité entre pythagoriciens et néo-pythagoriciens. Concernant Empédocle, il convient, selon lui, de se méfier de ce qu’en disent Aristote et Théophraste. Il est intéressant au contraire de le rapprocher de l’hermétisme, des papyri magiques et des alchimistes gréco-égyptiens. Se dessine ainsi une ligne de transmission qui atteint même le monde islamique, essentiellement la branche ismaélienne des shiites, exerçant également une influence sur le mysticisme, la théologie et la philosophie médiévaux.

On pourrait discuter tel ou tel point de la démonstration, mais l’ensemble apparaît convaincant, même s’il bouleverse notre compréhension de la philosophie grecque et de son histoire. Le plus grand mérite de Peter Kingsley est de rompre avec une vision évolutionniste de la philosophie antique. Face aux tenants d’une marche progressive vers le rationalisme, il expose la persistance d’une tradition ésotérique, même si sa continuité n’est pas toujours facile à prouver, un tel enseignement restant toujours caché.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 05/10/2010 )
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