| Pierre Pellegrin Geoffrey Lloyd Jacques Brunschwig Collectif Le Savoir grec - Dictionnaire critique Flammarion 2011 / 29 € - 189.95 ffr. / 1247 pages ISBN : 978-2-08-126508-0 FORMAT : 14cm x 20cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les éditions Flammarion rééditent dans un format et à un prix plus modestes la somme parue en 1996 sous le titre Le Savoir grec. Ce livre relié au prix relativement élevé était épuisé depuis longtemps. A partir dune idée lancée à la fin de la décennie 1980 par Louis Audibert, alors directeur éditorial chez Flammarion, le projet était doffrir un grand livre de synthèse sur la pensée grecque, adressé à un public éclairé, mais plus large que le cercle des seuls universitaires spécialistes de lAntiquité. La direction de louvrage fut confiée à Jacques Brunschwig, historien de la philosophie antique disparu en 2010, Geoffrey Lloyd, professeur à lUniversité de Cambridge, et Pierre Pellegrin, philosophe, qui ont réuni une quarantaine de contributeurs venant à la fois du monde anglo-saxon (Britanniques, Américains) et du monde latin (Français, Italiens).
Il sagit ici surtout de regarder les façons dont les Grecs se sont regardés eux-mêmes. Le livre sorganise en quatre grands chapitres. Le premier, «Émergence de la philosophie», pourrait paraître accorder une place imméritée à la philosophie au détriment de la science, sauf que la coupure entre ces deux concepts ne correspond guère aux catégories indigènes de lAntiquité, malgré lévolution de lépoque hellénistique qui va vers une plus grande spécialisation des savoirs. Plusieurs articles («Images et modèles du monde», «Mythe et savoir») décrivent le fond, populaire et mythique, à partir duquel se détache la «Figure du philosophe», si différente de sa représentation contemporaine. Dautres articles («La nature et lêtre», «La connaissance», «Léthique») offrent un premier et large balisage des principaux domaines dans lesquels lémergence de la philosophie sest accomplie.
Le deuxième chapitre traite du champ politique. Ce nest pas lanalyse historique de la naissance des cités qui est ici privilégiée, non plus que le développement des institutions, mais plutôt la réflexion sur ces évènements et la justification théorique et pratique de ces institutions, la définition des rôles variés entre lesquels se partagent laction et la pensée politique («Figures du politique»), la confrontation tantôt conflictuelle, tantôt harmonieuse, entre les pratiques de la vie civique et lidéologie dont elles se parent («Lhomme est un animal politique»), ou encore la question de lengagement ou du désengagement du sage par rapport à la cité («Le sage et la politique à lépoque hellénistique»). Le troisième chapitre, «La recherche et les savoirs», propose dabord quelques vues densemble sur les cadres institutionnels et conceptuels du savoir grec («Lieux et écoles du savoir», «Observation et recherche», «La démonstration et lidée de science»). Viennent ensuite une série darticles sur les différentes branches du savoir grec, rangés dans lordre alphabétique, depuis l«Astronomie» aux «Théories du langage», en passant par la «Cosmologie», la «Géographie», l«Harmonique» (plutôt que la musique), l«Histoire», la «Logique», les «Mathématiques», la «Médecine», la «Poétique», la «Rhétorique», et la «Technologie», sans oublier la «Théologie et divination» ou les «Théories de la religion».
Dans le chapitre final, «Figures et courants de pensée», on trouve une série darticles consacrés aux principaux philosophes et savants, ainsi quaux principaux mouvements intellectuels. Il est fait place à des savants (Archimède, Euclide, Galien, Hippocrate, Ptolémée) et des historiens (Hérodote, Thucydide, Polybe) autant quà des philosophes (Anaxagore, Aristote, Démocrite, Diogène, Empédocle, Epicure, Héraclite, Parménide, Platon, Plotin, Plutarque, Protagoras, Pyrrhon, Socrate, Zénon dElée) et des écoles de pensée variées (les Socratiques, lAcadémie, laristotélisme, les commentateurs antiques dAristote, les Milésiens, les platonismes, le pythagorisme, le scepticisme, la sophistique, le stoïcisme), sans parler des rapports des Grecs avec les autres systèmes de pensée (hellénisme et judaïsme, hellénisme et christianisme, hellénisme romanisé, pensée grecque et pensée arabe).
Louvrage a subi quelques changements avec cette réédition, afin de tenir compte des évolutions de la recherche. Wilbur Knorr nétant plus là pour modifier son article, Roshdi Rashed a rédigé une nouvelle notice sur les mathématiques. Leur étude nest en effet plus centrée sur le seul Euclide, et il faut tenir compte des grands mathématiciens postérieurs, dont les textes grecs originaux ont disparu, mais qui nous sont connus par des traductions arabes. Dans le domaine de la philosophie, la nouvelle édition prend en compte louverture de nouveaux champs et de nouvelles perspectives, comme lintérêt plutôt récent pour les commentateurs grecs de Platon et dAristote, notamment les néoplatoniciens des IVe et Ve siècles ap. J.-C. Il est également important quun tel ouvrage fasse au moins allusion aux relations entre la pensée grecque et la réalité culturelle romaine, analysées notamment par Carlos Lévy à travers la figure de Cicéron, intellectuel romain dont limportance culturelle est particulièrement exceptionnelle.
A part ces ajouts et modifications, la plupart des articles de la première édition ont été conservés, mais les auteurs les ont généralement revus, sans en changer la longueur et en complétant la bibliographie. Quelques articles ont été remplacés par dautres sur des sujets identiques ou voisins. Dautres encore, quoique excellents, ont été supprimés, car séloignant quelque peu du but réflexif de louvrage (ceux de Claude Mossé, sur l«Invention de la politique» et de Paul Cartledge sur «Utopie et critique de la politique»), ou étant remplacés ou fondus avec dautres (ainsi de la contribution de John Dillon sur «Lêtre et les régions de lêtre», fusionnée en quelque sorte avec larticle «Physique» rédigé par Pierre Pellegrin, ou lentrée «Xénophon» rédigée par Donald Morrisson, qui a laissé la place à une entrée plus large sur les «Socratiques», due à Louis-André Dorion).
La chronologie, les deux cartes du monde grec classique et du monde grec hellénistique, lindex des noms et celui des notions, de même que la table des auteurs, contribuent aussi à faire de ce livre un ouvrage de référence et un outil de travail utile, en plus dune somme darticles à la lecture agréable et stimulante.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 28/02/2012 ) Imprimer | | |