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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Stéphane Ratti Polémiques entre païens et chrétiens Les Belles Lettres - Histoire 2012 / 25.40 € - 166.37 ffr. / 290 pages ISBN : 978-2-251-38112-1 FORMAT : 15,1 cm × 21,5 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé et docteur en histoire. Imprimer
Le dernier livre de Stéphane Ratti, professeur à lUniversité de Bourgogne et spécialiste reconnu de lAntiquité tardive, constitue un prolongement aux études recueillies récemment dans Antiquus error. Les ultimes feux de la résistance païenne (Brepols, 2010). Il défend à nouveau, dans une langue vivante et claire, tout à fait accessible au grand public, une thèse nettement affirmée : celle de la résistance des païens, notamment des intellectuels, face à la christianisation de lEmpire au IVe siècle.
La méthode utilisée repose sur deux principes fondamentaux. S. Ratti montre dans le premier chapitre quà la fin du IVe siècle et au début du Ve siècle, dans lEmpire romain devenu chrétien, les idées païennes étaient victimes de formes de pressions équivalentes à de la censure. Elles devaient donc sexprimer de façon voilée. Cest pourquoi lhistorien est aujourdhui contraint de lire les traces de la résistance païenne «entre les lignes» de ses sources. Le second élément méthodologique consiste à ne pas négliger les uvres de fiction qui ont été un des vecteurs utilisés par les aristocrates païens pour transmettre leurs valeurs et polémiquer avec les chrétiens. Cest donc sur ce type de sources que se fonde, dans cet ouvrage, S. Ratti, plutôt que sur les ouvrages philosophiques qui ont davantage été étudiés par le passé.
Ces Polémiques entre païens et chrétiens se composent de deux parties. La première est consacrée à plusieurs exemples qui viennent montrer en quoi et comment des uvres littéraires peuvent être impliquées dans la polémique anti-chrétienne. Le chapitre intitulé «La guerre des hommes célèbres» montre que les vies de saints doivent en partie être comprises comme la réponse chrétienne aux De virus illustribus régulièrement rédigés par les païens : dans cette guerre des valeurs, le «but des apologistes chrétiens est de substituer aux héros antiques des saints chrétiens» (p.57).
Les chapitres suivants sont consacrés au théâtre et lauteur y soutient que lhostilité chrétienne face aux spectacles du cirque et du théâtre sexplique largement par les liens entre ces activités et la religion romaine antique. Dailleurs, létude du Querolus, pièce de théâtre anonyme rédigée dans les années 410, permet de déceler nombre déléments qui parodient les écrits dAugustin et les valeurs chrétiennes traditionnelles. Lauteur de cette pièce était par ailleurs un proche de Rutilius Namatianus dont le poème De reditu suo ne voile pas son hostilité au christianisme.
La seconde partie de louvrage est consacrée à Nicomaque Flavien Senior et à lHistoire Auguste. Nicomaque Flavien Senior, issu dune grande famille romaine, est «une des personnalités les plus importantes des trente dernières années du IVe siècle» (p.106). Né en 334, il a été un homme de pouvoir. Au cours de sa carrière, il a notamment laissé de mauvais souvenirs aux chrétiens dAfrique, ce qui a pu dailleurs contribuer à ralentir son ascension. Il occupe à partir de 389-390 un poste clé, celui de Quaestor Sacri Palatii pour lequel il doit, entre autres, rédiger des lois. En 392, après la mort de lempereur dOccident Valentinien II, il se rallie à Eugène, un «chrétien tiède» (p.112) soutenu par des païens, contre Théodose. Mais cest celui-ci qui lemporte à la bataille du Frigidus en 394 après laquelle Nicomaque se suicide.
S. Ratti estime avoir démontré de façon irréfutable dans Antiquus error que Nicomaque Flavien Senior est lauteur de lHistoire Auguste, dont on estimait auparavant que la rédaction avait été luvre de plusieurs auteurs en plusieurs phases. Dans son nouveau livre, S. Ratti ne reprend pas cette démonstration, mais procède à un double approfondissement : ses recherches sur la culture néoplatonicienne de Nicomaque Flavien Senior et sur les lois quil a rédigées lui permettent de retrouver ces éléments dans lHistoire Auguste tout en montrant à nouveau en quoi cette uvre comprend une charge contre les valeurs chrétiennes au nom de la vraie fides et de la vraie devotio qui sont celles des païens.
Si lensemble de cette démonstration dune résistance païenne est tout à fait convaincante, le détail demeure parfois discutable : lapport dun texte du XIIe siècle pour la connaissance du IVe siècle est limité ; les rapprochements entre un passage de lHistoire Auguste et une loi sur lhomosexualité nimpliquent pas que lauteur soit le même ; enfin, les chrétiens comme Rufin et Augustin avaient intérêt à présenter larmée dEugène comme païenne afin de justifier la guerre engagée contre elle, mais lon nest pas obligé de les suivre dans cette voie.
Surtout, la démonstration est trop souvent desservie par un style qui évoque davantage les polémiques religieuses quun débat historique serein. Dun côté, S. Ratti présente ses découvertes avec la langue de la foi : «les portes souvrent, les ombres sestompent et la clarté de la vérité illumine les recoins de luvre jusquici ignorés» (p.131). Cest probablement cette lumière qui lui permet de pénétrer les «convictions intimes» (p.114) de Nicomaque Flavien Senior. Dun autre côté, les historiens qui ne le suivent pas sont traités par linvective : «En réalité ce sont les disciples de saint Augustin» (p.15) ; ils sont toujours accusés de nêtre que des apologistes du christianisme refusant dadmettre que des païens intelligents aient pu résister à sa progression. Cette pratique est dautant plus regrettable que les idées avancées par S. Ratti sont très intéressantes, mais on aimerait quil cite les arguments de ses contradicteurs sérieux et quil y réponde point par point, comme il l'a fait dans "394 : fin de la rédaction de lHistoire Auguste ?", Antiquité Tardive 16, 2008, «LEmpire des Théodoses», pp.335-348"
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 04/12/2012 ) Imprimer
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